Je reprends ici en français des points développés dans certains de mes textes de 2011 et 2012. C’est un peu brouillon et chaque partie mériterait d’être approfondie, ce que je ferai peut être dans des articles séparés.
Il y a ce concept de l’animalité venant en particulier de thérianthropes mais qui ne se limite pas à eux; en effet, c’est une simple reprise d’un discours répandu plus largement au-delà de cette communauté. On peut le résumer à l’idée que notre identité animale de thérian serait une chose avec laquelle on nait, une qualité essentielle de notre être qui fait de nous ce que nous sommes; une espèce de vérité authentique à l’intérieure de nous qui primerait sur le reste (notamment sur l’éducation et autres influences considérées comme externes).
L’animalité relèverait de ce qui est animal, un trait dont les humains seraient généralement dénués ou qu’ils seraient capable de dépasser car supposés au dessus ou autre qu’animal.
Ce concept de l’animalité comme essence va de pair avec une vision dichotomique (disons dualiste) qui conçoit des associations telles que “animal-nature-instinct” en opposition à “humain-culture-raison”. Car l’animal serait ce qui est à l’origine sauvage, dont les réactions ne seraient pas teintées par quelque influence que ce soit, tandis que l’humain serait le produit de la civilisation – de sa culture (une chose dont tous les animaux non-humains seraient dénués). Et le thérianthrope, étant supposé plus proche de l’animal non-humain que l’humain ne l’est, est pensé comme ayant des réactions plus instinctives ou comme étant plus libre des effets de la socialisation humaine…
Outre le fait que c’est un discours très réducteur sur les animaux non-humains, allant notamment à l’encontre même des recherches récentes sur le langage de certaines espèces ou la transmission de pratiques entre différents groupes… je pense qu’il donne aussi une représentation problématique des thérianthropes en plus de servir d’excuse à tout un tas de comportements sous couvert de “c’est naturel” alors qu’il s’agit de tout autre chose.
Personnellement, ce n’est pas du tout la façon dont je me conçois en tant que thérian, même si je pense que c’est important de reconnaître que certains thérians se vivent effectivement ainsi. De la même manière que certaines personnes trans auront un discours binaire sur le genre et diront par exemple être littéralement “femme dans un corps d’homme” ou être des hommes “parce qu’ils ont toujours aimé les jeux de garçons et détesté les poupées” (quand bien même des garçons peuvent jouer à la poupée ou détester le foot), il y a des thérianthropes qui définiront leur animalité de façon stéréotypée et essentialiste.
Et cela ne veut pas dire que ces personnes ne sont pas des “vrais” ci ou ça; tout ce que je veux dire c’est que c’est un discours sur soi, et pas nécessairement représentatif de l’ensemble auquel il se rapporte. J’aimerais à la fois que les personnes qui découvrent les thérianthropes ne condamnent pas le concept juste parce qu’ils ne sont pas d’accord avec certaines des représentations véhiculées; et d’un autre côté, j’aimerais aussi que certains thérians se posent un peu plus de questions sur ce qu’ils appellent leur “nature”, ce qu’est supposé être un “animal sauvage”, et tout un tas d’autres idées préconçues sur lesquelles ils peuvent s’appuyer pour prouver la légitimité de leur animalité.
Pour ma part, quand je dis que “je suis un corbeau” ou “un leopard”, je ne prétends pas être la réplique d’un corvus corax ou neofelis nebulosa dans un corps humain. Je ne dis pas que je suis par essence, intrinsèquement, tel ou tel animal. Je ne suppose pas ce que serait faire l’expérience du monde dans un corps qui ne serait pas humain, avec un cerveau autre qu’humain et sans avoir été élevé dans une société humaine, parce que je pense que ça serait présomptueux. Ce serait ignorer certaines réalités au profit d’une croyance. Ce que je dis sur moi-même est plus qu’une métaphore, mais ce n’est pas essentialiste; c’est ma manière la plus directe de dire “j’ai des expérience sensorielles et plus qui sont particulières et me poussent à m’identifier à quelque chose d’autre qu’humain, et dont l’approximation la plus proche serait simultanément un félin de type panthère nébuleuse et un corvidé du genre grand corbeau.
Maintenant… c’est bien parce que je ne m’identifie pas de façon binaire que cela me pousse à questionner des “évidences”. Ce n’est pas que je recherche spécialement l’entre-deux, mais je me retrouve souvent dans “l’ailleurs” car il existe rarement de formules toutes faites qui soient en accord avec ce que je suis.
En ce qui concerne la thérianthropie et ce qui nous définit en tant que personne-animales, ce n’est pour moi pas une question de “nature” (spirituelle ou biologique) supposée pré-existante au reste. Et j’emprunte aussi l’idée à certains courants de l’éthologie, pour moi l’animalité n’est pas une qualité en soi qu’un être possède ou non, c’est avant tout un concept humain qui sert à distinguer les animaux non-humains de nous-mêmes, sinon pour désigner la part la moins humaine et dont il faudrait se distancer, s’élever au-delà. Par exemple en niant sa dimension corporelle, ses désirs et ses sentiments, pour laisser place à la valorisation de l’esprit et de la faculté de raison. L’animalité relèverait d’une nature “basse” ou “basique” dévalorisée par la plupart des humains.
Mais le fait est que l’animalité, on la possède tous (ou encore, ce n’est qu’une idée et elle n’existe pas réellement). Ce n’est pas une chose concrète et mesurable en nous, pas plus qu’on ne peut mesurer ce qui fait de nous des hommes, des femmes ou autre chose (je ne parle pas de sexe anatomique, mais bien de la dimension identitaire et sociale). C’est une idée. Il n’existe pas de supposée “animalité” qui soit commune à toutes les créatures sauf les êtres humain. Les humains n’existent pas en dehors du “règne animal”. Plus on étudie les créatures non-humaines et plus on se rend compte à quel point les différences (biologiques et autres) sont plus faibles qu’on ne se l’imaginait. Mais ce n’est pas mon intention de revenir ici sur ce genre d’acquis, pas plus que de faire un cours sur les transidentités ou l’intersexuation.
Il y a beaucoup des traits que certains thérians soulignent pour justifier leur animalité, mais qui existent en fait plus largement chez les autres êtres humains. Les thérians ne sont pas vraiment “plus animal” mais tout au plus dirons nous plutôt “différemment animaux” que les non-thérians. Par exemple l’expression de la violence n’est pas plus a/normale chez les humains que chez les non-humains, et donc chez les thérians. Je trouve ça pathétique d’utiliser son identité animale pour justifier d’un comportement violent. La seule différence entre thérian et non-thérian se situera tout au plus dans la forme: le thérian peut grogner au lieu de crier, griffer au lieu de frapper. Mais la thérianthropie n’est pas une excuse pour tyranniser les autres ou pour “se lâcher”. Il y a une différence entre thérianthropie et irresponsabilité, entre son identité animale et son refus ou son incapacité à gérer ses pulsions.
Je pense qu’il faut parvenir à lâcher un peu prise sur nos idées reçues de l’animal, au final on ne prouvera jamais notre animalité particulières. Etre, au fond de soi, un homme ou une femme, c’est indémontrable. De la même manière, la thérianthropie est indémontrable. On aura beau se raccrocher à tel ou tel trait en argumentant que c’est bien là la preuve de cette nature [d’homme, de femme, d’animal non-humain, peu importe], c’est un terrain glissant et plus on décortique la chose, moins elle tient debout. On sait déjà que demander à quelqu’un de prouver qu’il est humain, de définir ce qu’est l’humanité même, donne sujet à une infinité de textes philosophique sans pour autant apporter de réponse. C’est pourquoi les légitimations superficielles ou fallacieuses de certains thérians vis à vis de leur comportement prétendu animal m’exaspèrent, tout autant que les questionnements extérieurs sans fin qui demandent à ce que nous prouvions nos identités alors même que l’autre ne justifie pas de la sienne.
Ce n’est pas parce qu’on ne parvient pas à prouver ce que nous sommes que ce n’est pas réel. Ce n’est pas parce que quelque chose n’est pas inscrit dans notre ADN ou dans notre “âme” (pour les croyants) qu’elle n’a pas de dimension bien concrète et de conséquences. Et ce n’est pas le fait d’aimer les balades en forêt, de ne pas se reconnaître dans la société ou d’être impulsif qui définie la thérianthropie; ces traits ne sont que des clichés que l’on rattache au fait d’être animal, et des clichés bien humains.
Category: Français
Sur les méta-membres
On m’a encouragé à écrire quelque chose sur mes membres fantômes; c’est une expérience très intime pour moi mais je vais tenter de me plier à cette demande.
Tout d’abord, je pense qu’il est important de préciser que les membres fantômes chez les thérians sont un phénomène qui ne correspond pas exactement à la définition stricte connue des personnes amputées, mais à celle que la communauté scientifique appelle plutôt “membre fantôme surnuméraire”. Il y a un article Wikipédia sur le sujet bien qu’il n’ait malheureusement pas encore été traduit en français; il définit les membres fantômes surnuméraires comme relevant d’une condition où la personne croit et perçoit des informations venant d’un membre du corps qui n’a jamais physiquement existé, alors que les membres fantômes tels qu’on les connait plus communément apparaissent à la suite d’une amputation. Mais comme l’appellation “surnuméraire” alourdit la formule, elle est souvent omise dans les discussions; je parle moi-même généralement simplement de “membres fantômes” même si je fais toujours référence aux membres fantômes surnuméraires et rien d’autre.
Tous les thérians ne font pas l’expérience de membres fantômes, mais c’est un phénomène tout de même répandu d’après ce que j’ai pu voir sur les sites et forums que je parcours depuis une douzaine d’années. Chez beaucoup, ces sensations ne se produisent que lors d’une shift, et sont absentes le reste du temps. Pour ma part, l’analogie la plus exacte que je peux fournir pour tenter d’expliquer mes sensations de membres fantômes est celle de ma synesthésie.
La synesthésie est le mélange de deux ou plusieurs modes de perception chez une personne; c’est aussi une bizarrerie neurologique qui est connue de la communauté scientifique. Pour ma part, je fais l’expérience d’un type courant, celui qui transpose des couleurs sur des graphèmes (c’est à dire sur des lettres, chiffres et symboles similaires). Lorsque je regarde une lettre ou un chiffre, je peux “percevoir” sa couleur; cela fonctionne aussi pour certains mots entiers en ce qui me concerne, par exemple pour les jours de la semaine et les noms de mois (ce qui a eu le don de m’énerver en maternelle car on nous apprenait ces mots avec des couleurs, et que les couleurs choisies par la maîtresse contre-indiquaient celles de ma synesthésie, donc j’avais l’impression que ce qu’on nous apprenait en classe était inexact). Tous les synesthètes n’associent cependant pas les mêmes couleurs aux mêmes graphèmes.
Bien sûr, je suis tout à fait capable de voir la couleurs “réelle” de l’encre utilisée pour les mots. Je sais que ce que je vois n’est qu’une projection et je peux faire la distinction entre ma synesthésie et la réalité physique. Si pour moi la lettre “A” est rouge, cela ne m’empêchera pas de noter le fait que l’encre utilisée est noire, ou que dans telle affiche la lettre a été imprimée en une autre couleur. Et dans ma classe de maternelle, c’était bien parce que je voyais la différence entre le fait que le “mardi” était écrit en rouge sur le poster, alors que pour moi “mardi” est vert, que cela me frustrait terriblement.
Pour moi, mes membres fantômes – ou “méta-membres” – sont la même chose. Je suis capable de sentir des oreilles félines par dessus ou dans le prolongement de mes oreilles physiques, et je peux dire lesquelles sont faites de chair et lesquelles ne sont que le fruit de mon cerveau bizarre. Mais après tout, les sensations physiques sont aussi de simples signaux électriques ou chimiques dans mon corps, la différence entre ce que nous nommons le réel et la sensation fantôme n’existe que dans un regard extérieur. Pour mon cerveau, les deux perceptions sont valides et réelles.
Les sensations fantômes tendent à avoir moins de poids dans mon ressenti, parce que le monde physique pèse moins dessus. Je peux ressentir une gène si mes ailes se cognent dans le décor, si l’on peut dire, mais sans plus. Sans doutes que ce n’est du qu’à un effet placebo de ce que mon cerveau “attend” de logique en terme d’interactions physiques. De la même manière je peux sentir le vent dans mes plumes ou dans la fourrure de ma nuque, des griffes et des canines plus longs que les ongles et les dents que je possède en réalité. J’ai la sensation d’une structure musculaire ou osseuse étrange qui semble plus “juste” que mon anatomie actuelle. Globalement, mon cerveau a une cartographie de mon corps qui diffère de sa géographique “physique” concrète.
D’où, par moment, le sentiment de dysphorie d’espèce, que d’autres ont beaucoup mieux décrit que moi car je ne le ressens pas aussi intensément que la plupart (mais je ne suis pas non plus vraiment dysphorique de genre par rapport à mon corps, donc ce n’est pas une surprise). Souvent ce n’est qu’une petite gène pour moi, et plus rarement une sensation d’écoeurement, de tristesse, de frustration ou une douleur presque physique. C’est le ressenti de “ce qui devrait être”. Pour d’autres parfois, c’est comme s’ils étaient littéralement physiquement malades.
Pour le moment je n’ai pas encore traduit beaucoup de choses sur la dysphorie du point de vue thérian, mais il y a ce petit texte de Ninmenjuushin pour commencer.
Le labyrinthe de l'animalité
Par Twido
Si un jour je devais représenter ma manière de penser, je ferais ça :
C’est moche, hein ? Ce n’est même pas de l’art. Ça n’a aucun sens, ni queue ni tête, on n’y comprend rien. Mon cerveau, c’est des gribouillis. J’ai l’habitude de prendre la tête pour tout et n’importe quoi. Je pense, je pense, je pense… en fait, je pense jusqu’à ne même plus comprendre à quoi je pense. “Et si j’avais fait, est ce que… ?” “Suis je réellement… ?” “Pourquoi ai je… ?” Je décortique un sujet X, j’essaye de le prendre à l’endroit, à l’envers, je me pose toutes sortes de questions dessus, je finis par m’embrouiller. J’ai beau me répéter “arrête de te torturer”, je continue à m’exploser le crâne à coup de questions. Je vais finir par croire que mon cerveau est un labyrinthe sans issue : quelque soit la route que je prend, je tomberai toujours sur un cul de sac.
J’emprunte trop souvent le chemin de l’animalité, trop trop souvent. A vu de nez, la route semble dégagée à force de mes allés et retours. Cependant, dès qu’on s’enfonce un peu, nous voilà sur un chemin on ne peux plus tortueux. Une forêt sombre à n’en plus voir le ciel, des ronces, des épines. Un peu comme le jardin d’Alice, mais cette fois en pente. Et là, on est en plein milieu de ce grouillement d’idées. Des lombrics qui se superposent, se mélangent entre entre eux, se collent et pullulent . Aujourd’hui, j’ai envie de mettre mes pensées au clair. J’ai besoin de tout faire sortir. Je sais que je m’avance sur une pente glissante, ce n’est pas grave, j’ai l’habitude de me casser la gueule. Et en plus, cette fois, je serai accompagnée.
Nous voici au premier croisement. Il n’y pas de Chat de Cheshire, pas de “Par ici” ni de “Par là”, pas de “Mangez moi” ni de “Buvez-moi”. A la place, deux immenses panneaux : “Je suis animale”, “Je ne suis pas animale”. Parfois, les inscriptions changent. “Suis je moi même ?”, “Qu’est ce qu’être réellement animal ?”, “Suis je folle ?”.
Je commence à me sentir mal. Et si tout ça n’était qu’une illusion ? Les shifts, les membres fantômes, l’identification, les pulsions… Est ce vraiment moi ? Ou est-ce plutôt ce que j’aimerai être ? Et si c’était la même chose ? J’ai mal à la tête.
Pour me rassurer, je prend mon chemin favoris : celui des souvenirs. Il est propre, désherbé, linéaire. Un seconde jardin du Luxembourg. Les souvenirs me font office de preuves. Je me souviens de l’envie de libérer toute cette animalité en moi, de me laisser aller, d’être moi même. Et là, je fais “tilt”. Je suis rassurée : “L’animalité, c’est ma personnalité. Je suis comme ça, depuis toujours. C’est moi !” Et pourtant, je sais que quand je retournerai au croisement précédent, toutes mes craintes referont surface. Je suis bloquée dans un cercle sans fin.
A force de me creuser la cervelle, je revois des souvenirs que j’aurai préféré oublié. La gêne, le mal-être. Plus j’avance et plus ces souvenirs désagréable reviennent pointer le bout de leur nez. Pourquoi je ne m’arrête pas ?
Je me souviens de cette impression. Celle où je me disais “On m’a retiré le cerveau, on m’a gratté la case “conformisme”, “normes sociales”, “vie en société” et on m’a re-placé le cerveau…à l’envers”. Une fois, alors que je me sentais particulièrement mal, une voix s’est mis à répéter en boucle “T’es une erreur de fabrication”, un peu comme un disque rayé, “T’es une erreur de fabrication”. A moment, le disque a planté et seul le mot “Erreur” se faisait entendre.
J’ai mal au coeur. Je revois Alice courir dans la forêt de Wonderland. Elle trébuche parfois, s’écroule sur le sol.
Je suis Alice et je me prend dans les toiles d’araignées. Je me relève et je tombe dans un trou. J’essaye de m’agripper au rebord mais le mot “HONTE” me marche sur les doigts.
J’ai honte, qu’est ce que j’ai honte. J’ai honte de ce que je suis, j’ai honte vis à vis des autres thériantrhopes, j’ai honte d’avoir honte. Puis, comme si ça ne suffisait pas, un panneau se redresse. Il y est inscrit “Qu’est ce que la honte ? Aller, souviens toi de tout ce qui te fait si honte !”
J’ai honte de me sentir renarde. Je me regarde dans la glace, je vois une jeune fille, je n’ai pas de queue, ni d’oreilles pointues, ni de fourrure… Alors pourquoi cette identification ? Je ne sais pas, je ne comprend pas. Je déteste ces zones de flous, je besoin de tout savoir, de tout maîtriser. J’ai du mal à assumer ce ressenti… J’évite, alors, d’en parler à mes proches non-thérians. Et quand je leur en parle, je ne m’avance pas réellement sur le sujet. “J’aime bien les renards, je leur ressemble”, c’est toujours plus facile à dire que la vérité. Une fois, on m’a demandé “Ah, mais encore heureux que tu ne te sentes pas réellement renarde, pas vrai ?” et j’ai répondu “Encore heureux.”
Japper, mordiller, lécher, sentir. Je trouve ça honteux, terriblement. Rien qu’écrire ces mots me fait frissonner… J’hésite à les effacer… Je les laisse ? Je les laisse.
“Mais merde, pourquoi je fais tout ça…?”
Et j’entend un chuchotement qui me répond “Parce que tu aimes ça, être animal.”
J’aime ça… Jouir de plaisirs animaux. Je suis folle. J’ai honte.
Et qu’est c’est que ça ? C’est du plaisir malsain ?
Surtout quand ces pulsions me prennent en publique. C’est une envie, une véritable envie. Je sais que les écouter, ça me ferai du bien. Mais je ne le fais pas. Je pèse toujours le pour et le contre avant de faire quelque chose.
La Reine de coeur me dit : “Tu passeras un bon moment”.
L’As de Pique rétorque : “Tu le regretteras amèrement”.
Et quand je vois certaines personnes qui se disent “animaux”, en train d’hurler à plein poumon ou de grogner dans la rue, je ressens un profond mal être. Ils ne ressentent aucune véritable envie, aucun besoin… Ils veulent juste montrer au monde qu’ils sont différents. Ils se pavanent de manière à dire “Regardez moi ! Je suis animal !” Et en effet, les gens les regardent…
…Je suis peut être jalouse de leur liberté, qui sait ?
J’ai déjà shifté devant des proches et j’ai jamais eu aussi honte de ma vie. J’avais honte de mes actes, c’est clair. Mais j’avais également honte de ressembler à ces pseudo-thérians qui veulent à tout prix prouver aux autres qu’ils sont réellement animaux.
“Et si ? Et si ? Et si ?” J’ai tellement de questions.
“Qui suis je ?” “Pourquoi je suis comme ça ?” “Est-ce vraiment moi ?”
J’ai l’impression de remonter au tout début du labyrinthe…
Je veux sortir de ce délire, quitte à me prendre une paire de gifle ou, dans un cas extrême, à me fracasser le crâne contre le mur. Je me secoue la tête, je respire un bon coup et je me retire de cette bulle.
Je vais sur mon blog histoire de me changer les idées. Dans un commentaire, on me demande “Pourquoi te prends tu pour un animal ?”
J’ai pas envie de répondre, pas maintenant.
Même si cette question est de nature innocente, je ressens un drôle de poids au coeur. Surtout après tout ça.
Si seulement je pouvais tout simplement n’imiter qu’un animal. Je pense que j’agirai seulement comme une bête classe. Je ne ferai que montrer les crocs, grogner et mordre. J’arrêterai de me poser des questions. J’en profiterai pour me montrer sous une forme imposante. Adieu couinement, positions de soumission et tout le tintouin honteux.
La thérianthropie aurait pu être un jeu. Agir de manière sauvage et indomptable. Etre incontrôlable lors de violentes crises animales. Se définir comme un animal bestial et cruel aux couleurs improbables. Si ce n’était qu’un jeu, on ne trouverai ni de dysphorie, ni de honte, ni de mal-être, ni de craintes. Si ce n’était qu’un jeu, il suffirait de cliquer sur “pause” lorsque l’on voudrait passer à autre chose. Mais en échange, on abandonnerai tous les plaisirs que nous offre l’animalité…
Et là, je m’enfonce à nouveau dans le labyrinthe d’Alice.
Questions sérieuses pour otherkin
Par Aethytiek
Qu’est-ce qui rend otherkin d’un point de vue scientifique?
Pour donner un peu de contexte, je suis une personne chauve-souris.
En ce qui me concerne, les docteurs à qui j’ai parlé estiment qu’il y a une erreur relativement bénigne dans la manière qu’a mon cerveau de traiter les informations, de telle sorte que je reçois les sensations d’une structure physique qui n’est pas présente. Pour prendre un exemple, je pourrais dire que par dessus mes bras j’ai la sensation d’ailes (ce qui est très simpliste. “Ailes” n’est pas vraiment exact.). Evidemment, tout ce qui existe en réalité sont des bras humains.
Ce que ça fait en tant qu’expérience c’est que si les sensations sont particulièrement présentes à un moment donné, je peux perdre ma coordination, devenir irritable et anxieuse. Cela dépend parfois de mon humeur et de mon énergie cependant.
A un moment dans ma vie j’imagine que j’ai commencé à identifier ces sensations aux créatures volantes, puis aux chauve-souris. Cela ne se limite pas à ça, mais c’est le plus simple résumé d’une “origine”. C’est devenu une partie intégrante de la manière dont je me perçois et m’identifie/situe dans mon environnement, au point que le déconstruire et tenter de me redéfinir en tant “qu’humain bizarre” serait impossible ou nuisible, d’après ce que pensent les médecins et conseillers à qui j’en ai parlé. Il n’y a aucun moyen de réparer ou supprimer la manière dont mon cerveau traite l’information, seulement l’identité. Peut-être. Et à quel prix, c’est tout le problème.
Je suis une adulte. Cette expérience a toujours été présente dans ma vie, et la plupart des sentiments négatifs qui en découlent viennent de la sensation d’être honteuse et aliénée, et de n’avoir aucun soutient quand mon angoisse crève le plafond. Mais il est plus aisé de travailler là dessus que de réduire en miettes mon moi intérieur ou autre.
Parfois je m’inquiète du fait d’impliquer que mon identité est le résultat d’une information mal traitée, parce que même si c’est un aspect du “pourquoi”, dans mon expérience quotidienne ce n’est que ça. Ce n’est pas l’expérience en soi. Pour moi, je perçois mon corps à une intersection de sensations. Je me sens chauve-souris et humaine, et c’est simplement comme ça que j’ai grandi.
Sinon, qu’est-ce qui fait que les gens puissent être otherkin selon toi?
Je pense qu’il y a pleins de raisons différentes qui expliquent pourquoi des personnes sont otherkin ou thérian, et que mon hypothèse personnelle n’en est qu’une parmi d’autres.
Comment l’as-tu compris?
Je ne suis pas sûre du sens de la phrase, comment est-ce que j’ai su que j’étais otherkin ou bien comment est-ce que j’ai su pourquoi j’étais otherkin?
J’ai trouvé la communauté thérianthrope, et j’ai parlé à des gens et essayé de voir si mon ressenti était assez proche du leur pour que la terminologie soit appropriée et utile. Et le “pourquoi je suis ainsi” vient juste de beaucoup de réflexion et de discussions au cours des ans, parce que je voulais être capable de résumer cette expérience de manière efficace pour les personnes extérieures afin de les aider à comprendre. Principalement pour mes amis et ma famille. Mais je trouve que synthétiser n’apporte pas tellement d’aide que ça parce que le sujet est juste trop complexe! ^^”
Comment te sens-tu vis à vis de ton corps humain?
Bien et mal.
Mes élucubrations sur mes moustaches
Par Less
Si je vous dis “moustaches”….
Vous allez en subir des textes sur mes moustaches… D’abord parce qu’elles me fascinent, ensuite parce que c’est un repère chez moi, je les sens de manière constante, elles me chatouillent, me font me sentir bien…
Le simple mot “moustaches” m’évoque tellement de choses… Le fait d’y penser, ne serait ce que vouloir y penser, provoque l’effet immédiat de sentir des picotements agréables dans ma peau, un chatouillement caractéristique, cette chaleur… Tellement nette près des joues, plus floue aux extrémités…
Je ne sais pas décrire, c’est la sensation que j’aime le plus de ce monde, c’est un moyen d’auto-réconfort… Un moyen de ne pas totalement être paumée…
Une fois, une fois seulement, je ne les ai pas senties… Je ne veux plus revivre ça, mon dernier repère m’avait laissée. Je suis une fille qui réagit par extrême, cette fois là est un souvenir récent, c’est vrai, mais mes pensées éberluées veulent absolument le placer dans le passé, l’éloigner, le pousser loin, loin de moi…
Il y a des choses dont je ne veux pas me rappeler, d’autres que je grave dans ma mémoire…
Il m’a fallut du temps pour qu’elles soit claires, définies, pour pouvoir les sentir pleinement, j’ai délaissé mes autres membres fantômes, les moustaches sont de loin ceux qui sont parus évidents, tellement faciles à sentir, faiblement au début, mais existantes.
On ne peut pas tout avoir, je suis satisfaite de mes moustaches, elles sont grisantes, je pourrais vous en parler des heures durant…
Étrangement; je pensais que tout le monde ressentait la même chose, j’ai été étonnée, en comparant mes ressentis avec d’autres thérianthropes, j’étais vraiment abasourdie d’être la seule à avoir un besoin constant de ce repère…
L’insulte la plus courante qu’on m’ai jetée en pleine face, c’est un “gamine”, un “gamine” qui vient des tripes, un mot, qu’on te jette, on te piétine avec , on te fais mal, on t’écrases; mais on ne peut pas mentir avec une insulte, contrairement aux compliments, une insulte est honnête, elle fracasse. Il y a toujours une part de vérité dans une insulte, parce qu’on cherche la chose qu’on aime le moins chez quelqu’un pour le blesser.
Les rageux ont le mérite d’être honnêtes.
Je ne sens que très rarement mes oreilles… Elles sont très floues, et je ressens la base uniquement. Ma queue est le membre fantôme le plus rare chez moi… J’aimerais bien avoir une queue aussi présente que celle d’Olwun par exemple…
Mais régulièrement je sens des bras plus courts, surtout plus fins en fait, ça casse pas des briques, mais ils sont là; de la fourrure, au niveau du cou aussi.
J’ai tendance à sentir plus de choses sur le haut de mon corps… Je ne sais pas pour quelle raison…
Peut-être à cause de mon caractère? Mon comportement?
Aucune idée.
Du moment que je sentirais mes moustaches, je serais bien, elles représentes mon dernier recours, une sorte de soutien ultime.
Sans elles au final je retourne à l’état de gamine perdue.
Guide de la thérianthropie pour les sceptiques
Par Citrakāyah
Questions Générales
Q: Qu’est-ce que la thérianthropie?
R: La thérianthropie est un état (pas dans le sens psychologique ou médical, mais dans le sens d’être de façon permanente) où une personne s’identifie d’une certaine façon en tant qu’animal non-humain reconnu par la science. Les raisons de cette identification varient sensiblement. Dans mon cas, c’est parce que les comportements et instincts du guépard me semblent tout à fait justes et naturels, même si je ne suis pas psychologiquement forcé de répondre à ces besoins – mais je connais des personnes pour qui c’est le cas.
A part ça, il n’y a pas de consensus universel sur la définition de ce qu’est la thérianthropie. Merde en fait, tout le monde n’est même pas toujours d’accord avec cette définition, bien que la plupart s’accorderont à dire que c’est une description assez proche. Puisqu’il n’y a pas de définition de dictionnaire officielle à propos du terme de “thérian”, et pas de consensus médical non plus, débattre de cette définition est plutôt inutile. Elle est assurée de fonctionner pour la plupart, mais pas pour absolument tout le monde. En cas de doute, posez la question.
Parce que de nombreux thérians peuvent pondre tout un roman sur ce qu’est la thérianthropie pour eux. Ou on vraiment déjà écrit des pages et des pages à ce sujet.
Q: Que sont les otherkin?
R: Les otherkin sont similaires aux thérians (et, selon la personne à qui l’on demande, peuvent d’un point de vue philosophique et mental, mais pas historique, être un groupe plus large auquel les thérians appartiennent). Cependant, ils s’identifient à des espèces qui n’ont jamais existé, généralement ayant une intelligence comparable à celle des humains. Leurs expériences semblent tourner autour des modes de pensée étrangers aux humains et surtout le fait de se souvenir d’une autre culture (bien sûr, c’est une question d’opinion si ces souvenirs en sont vraiment). Evidemment, là j’essaie de me mettre dans les baskets de l’humain moyen, parce qu’il n’y a pas grand chose qui sorte de l’ordinaire pour moi concernant les modes de pensée étrangers.
Tous les otherkin n’ont pas un kintype de genre organique. Certains sont mécaniques, et d’autres sont des esprits ou autre qui ne proviennent pas du monde physique terrestre.
Q: Qu’est-ce que la multiplicité?
R: La multiplicité est l’état consistant à avoir plus d’un esprit partageant un même corps. Contrairement au trouble dissociatif de l’identité, les multiples ne sont pas nécessairement le résultat d’un traumatisme et ne perturbent pas forcément la vie de ces personnes.
Le nombre de multiples dans la communauté thériane et otherkin semble avoir augmenté au cours de ces dernières années, d’après ma propre expérience. De même, les thérians et otherkin lambdas sont de plus en plus conscients de l’existence des multiples.
Q: Que sont les fictionkin?
R: Les otherkin dont le kintype est une créature de fiction. Les fictionkin sont fréquemment (et plutôt à tort) victimes de diffamation, ce qui est assez ironique puisque les mythes sont un genre de fiction et qu’une approche psychologique des otherkin et de la thérianthropie n’invalide pas leur existence.
Bien sûr, beaucoup d’otherkin/thérians n’ont pas une approche psychologique de la question, ce qui à mon avis est une mauvaise chose dans le cas seul où ils refusent de considérer le fait qu’une perspective psychologique puisse être l’une des possibilités. Les otherkin/thérians qui ne croient pas à une perspective psychologique ne croient généralement pas aux fictionkin, ou y croient par une théorie découlant de celle des multivers où chaque univers imaginé existe en tant qu’univers à part entière (par conséquent, quelque part, il y aurait des orcs). Selon cette théorie, les âmes peuvent migrer d’un univers à l’autre, donc il serait possible que l’âme d’un orc se retrouve dans un corps humain. Bien que je ne croie pas en cette idée, je ne peux pas prouver le contraire non plus, et j’ai mieux à faire que de passer mon temps à dire à tout le monde qui y croit qu’ils ont tort. Quel est l’intérêt?
Et d’autre part, je tremble à l’idée des implications de l’existence d’un univers de Cthulhu ou Warhammer 40 000. Ou de Twilight.
Q: Est-ce que tous les fictionkin s’identifient à des personnages tirés d’oeuvres de fiction?
R: J’en connais de façon certaine seulement deux; je préserverai leur anonymat à moins qu’ils me demandent spécifiquement de les mentionner par leur nom. Ils font tous les deux partie de systèmes multiples; l’un (qui ne colle pas bien à ma définition générale) pour qui le système est très défini avec différents “compagnons mentaux”, et l’autre est un système médian.
Selon ce que j’ai compris, les fictionkin qui s’identifient à des personnages spécifiques trouvent cela assez perturbant. Je trouve cela compréhensible étant donné la Règle 34 (si quelque chose existe, on trouvera du porno là dessus), et le fait que les créateurs originels des personnages ont la liberté de leur infliger tout un tas d’horribles choses, et sans doutes aussi j’imagine le simple fait “complètement dingue” de trouver un personnage de fiction avec tellement de similarités évidentes avec soi qu’on ne peut juste pas les ignorer.
Remarquez, ce ne sont pas de parfaites copies de ces personnages. Les otherkin et thérianthropes ne sont pas des copies conformes de leur kintype non plus, et la même chose s’applique aux fictionkin. Je ne vais pas me mettre à uriner sur les arbres dans les jardins d’enfants de si tôt, merci, et je resterai végétarien. A notre manière cependant, les fictionkin s’identifiant à des personnages particuliers trouvent les similitudes trop évidentes pour être ignorées.
Comme toujours vous pouvez argumenter jusqu’à ce que mort s’ensuive et que tout ce qu’il reste soit des particules flottant dans l’air. Ce n’est pas ce qui changera le fait que les fictionkin existent malgré tout, ce qui rend la controverse à leur sujet assez absurde.
Q: Est-ce que les thérians et otherkin suivent une religion ou des croyances particulières?
R: Non. Je suis moi-même un athée apparemment incapable de croire au surnaturel. Je connais beaucoup d’autres thérians et otherkin athées, certains notamment qui n’y croient pas non plus.
Parmi ceux qui y croient, leur spiritualité varie très largement. Je connais un thérian catholique, un félin adorateur du feu, un paquet de néo-païens, plusieurs Juifs, et un ou deux thérians musulmans. D’après mes estimations, peut être 60% de païens et néo-païens, 20% d’athées et agnostiques, et 20% de Judéo-chrétiens.
Ils sont relativement peu à être socialement conservateurs cependant, d’après ce que j’ai pu voir. Ce biais peut être du au fait que j’ai passé la plupart de mon temps sur la Werelist, où le staff est principalement non-hétérosexuel, transgenre, ou les deux.
Q: Pourquoi la thérianthropie?
A: Personne ne sait pourquoi nous sommes ce que nous sommes – ou tout du moins, personne n’a de théorie qui ne relève pas uniquement de la pure spéculation. Les hypothèses vont de l’imprégnation à la réincarnation en passant par quelque chose qui se rapprocherait de l’autisme. Mais au bout du compte, on ne sait pas. On ne saura peut être jamais, bien que je ne l’espère pas. Mais même si l’on sait en partie, on ne saura peut être pas tout, et ainsi on ne peut pas prouver la non-existence des explications qui ne sont pas empiriques. On peut prouver qu’elles ne sont pas indispensables pour expliquer ce que nous sommes, mais on ne peut pas prouver qu’elles sont fausses.
Et si quelqu’un prétend qu’il sait de manière sûre et absolue ce qui cause ce que nous sommes, et qui demande à ce qu’on le croie, il fait fausse route. Certains individus suivent parfois des dogmes bizarres où il faut posséder telle ou telle qualité métaphysique pour être un thérian ou otherkin. Je n’ai jamais vu de tels individus offrir une once de logique et de raison derrière ces raisons arbitraires – et je m’attends à ce qu’un tel raisonnement soit des plus fallacieux.
A propos des thériotypes/kintypes
Q: De nombreux animaux ont des comportements similaires. Comment est-ce possible de faire la différence entre des espèces semblables?
R: La réponse par défaut est plutôt simple: on ne fait pas de différence. Il y a ce que l’on appelle des cladothérians (des thérians dont le thériotype est un clade); et quand on rencontre des thériotypes tels que “papillon de nuit”… Je n’ai jamais vu personne dire “papillon de nuit” et ensuite “Chrysiridia rhipheus”.
Je pense que cela vient d’un simple fait: certaines familles d’espèces ont une diversité comportementale plus ou moins marquée. Par exemple, le coyote a un comportement différent du loup, qui est différent de celui du chien, qui est différent de celui du loup à crinière. Mais si l’on examine les espèces de coléoptères, les scientifiques doivent regarder leurs organes reproducteurs pour les différencier (et ils ne sont malgré tout pas tous d’accord entre eux). Une personne lambda ne peux pas faire la distinction, au niveau du comportement ou même de ses membres fantômes, entre deux espèces proches de coléoptères.
Q: Pourquoi y-a-t-il tellement de thérians loups? Est-ce que cela ne serait pas la preuve qu’ils se font des idées?
R: Ceci est en réalité deux questions auxquelles je répondrai l’une après l’autre.
Tout d’abord, on n’est pas certains qu’il y ait réellement plus de loups. Les sondages que j’ai vu sur la Werelist n’indiquent pas que la plupart des thérians sont des loups; il y a à peu près autant de félins d’un type ou de l’autre, et un paquet de bizarreries comme des dauphins, des loutres, une salamandre, une limace de mer, quelques mégachiroptères, divers canidés, un loup de Tasmanie et divers oiseaux. Tout ce que l’on sait c’est qu’il y a plus de loups dans la communauté online à laquelle nous avons accès; je suspecte que le nombre réel de thérians soit bien plus élevés que ceux qui sont sur Internet, avec une répartition par espèce un peu plus variée. La première raison ne prête pas vraiment à la controverse, puisque (je me souviens de Laycock estimant la taille de la communauté à quelques milliers) la plupart des thérians/otherkin parlent Anglais, simplement parce que les communautés ont été crées par des personnes anglophones. Qui sait combien il y a de thérians qui parlent chinois, swahili, arabe, russe ou encore espagnol? La plupart d’entre nous somme d’accord pour dire qu’il n’est pas nécessaire de connaître le terme “thérian” pour en être.
Mince quoi, il se pourrait même que des communautés existent en parallèle.
Il faut aussi ne pas oublier que les loups sont des créatures vraiment sociables. Il se pourrait simplement qu’ils aient un besoin plus élevé d’être entourés par leur pairs que d’autres types de thérians. Une autre possibilité est que les loups ont un comportement plus proche de celui des humains, donc être un thérian loup ne nécessite pas une grande variation vis à vis de la norme (cela marche pour d’autres types d’identité). Et, bien sûr, la thérianthropie est aussi subjective que le sont les espèces. Plus encore en réalité, parce qu’il y a encore moins de distinctions parfaites entre les comportements et les concepts humains qu’il n’y a entre divers ADN et anatomies. Parfois la distinction est suffisante pour en obtenir des réponses, parfois pas.
Et ensuite… qu’est-ce qui est apparu en premier, l’oeuf ou la poule? Qui ne dit pas que la raison pour laquelle les thérians loups sont obsédés par les loups est qu’après tout ils s’identifient à eux et partage certains de leurs comportements?
Q: Est-ce que les thérians ont pu être influencés par leurs animaux de compagnie?
R: C’est fort possible. J’ai moi-même été entouré de chats toute ma vie, et je suis un guépard. Mais cela n’explique pas entièrement la thérianthropie: j’ai recentré des thérians dauphins et je ne connais personne qui possède de dauphins en tant qu’animal de compagnie. Et puisqu’on en parle, les guépards ont un comportement distinct de celui des chats domestiques, par exemple dans le choix de leurs proies et dans leur structure sociale. Donc il y a clairement un truc. Ca ne veut pas dire que nous ne sommes pas influencés par les animaux qui nous entourent, mais simplement que ce n’est pas la seule chose qui fait de nous ce que nous sommes.
Q: Est-ce que les thérians/otherkin souhaitent modifier leur corps?
R: Ca dépend. Je n’en ai pas particulièrement envie (même si ça ne me gênerait pas d’avoir des griffes rétractiles), mais certains le veulent, parce qu’ils ont une espèce de dysmorphisme (cette comparaison n’est pas de moi, elle a été faite par des personnes dysphoriques de genre) donc ils voient un intérêt à l’altération de leur morphologie. Evidemment ils ne serait pas possible de faire une transformation complète dans tous les cas (par exemple il est impossible qu’un thérian limace de mer diminue la taille de son corps à celle d’une limace de mer), et différents thérians/otherkin on des désirs de modification corporelle différents. Beaucoup ne ressentent pas le besoin de changer leur corps.
La chose la plus rationnelle est de permettre aux thérians/otherkin de modifier leur corps, puisqu’il n’y a pas de raison valable pour ne pas le faire, comme un bénéfice clair peut en découler. Les seuls arguments que j’ai vu à l’encontre de la liberté de son corps font appel à la morale et/ou la tradition, la croyance qu’il ne faut pas changer son corps une fois qu’on le possède, et la croyance qu’on se changerait tous en monstres si la chose était permise. Je ne trouve aucun de ces arguments convaincants. Bien sûr il faudrait réguler la chose, mais ça ne veut pas dire que ça devrait être complètement interdit.
Q: A quel point les thérians/otherkin sont-ils les esclaves de leurs pulsions?
R: Ca dépend. Même pour un thérian/otherkin donné, le degré de maîtrise de soi peut varier – le mien est plus faible quand j’ai mal (heureusement pour moi je ne suis pas trop sensible à l’électricité statique!), ou quand je suis énervé ou fatigué. Cela dépend aussi des préférences personnelles de chacun et son environnement. Quand nous sommes seuls, ou avec ceux qui nous comprennent et nous acceptent en tant que thérian/otherkin, on peut se lâcher un peu plus. Parce que si je me laissais aller à agir en tant que félin en public, je serais sans doutes ostracisé et des petits hommes en blouse blanche s’en mêleraient.
Ca pourrait évoluer, dans le futur, et étant donné que je refuse de défendre les normes sociales sur des bases idéologiques, je serais ravi d’être le témoin d’un tel changement. Les normes de la société ne sont souvent pas rationnelles; une restriction des comportements thérianthropes/otherkin est (dans la majorité des cas) simplement impossible à justifier d’un point de vue rationnel, et repose sur des opinions religieuses ou arbitraires. Ce sont deux arguments bancals qui peuvent être utilisés pour justifier des actions qu’une personne rationnelle considèrerait comme terribles.
Mon opinion n’est pas des plus populaires, bien sûr.
Q: Pourquoi les thérians/otherkin restent-ils dans l’ombre?
A: Deux raisons principales, mis à part le fait que la plupart des symboles thérians et otherkin seraient méconnus de toute personne qui n’en connaîtrait pas déjà l’existence.
Premièrement, parce qu’à chaque fois que nous avons essayé de nous montrer, ou que nous avons permis que cela se produise, ça nous est revenu en pleine figure d’une manière ou l’autre. C’est principalement la faute du voyeurisme des média; ils sont impitoyables, et je connais des personnes qui pensent sincèrement qu’on devrait laisser tomber face à ces connards. Nos forums se font continuellement traquer par ZigZag (après leur avoir demandé de foutre le camp plusieurs fois), des idiots qui voulaient nous mettre dans le même sac que les pratiquants du BDSM pour la provoc, et divers autres individus ont essayé de nous interviewer. La plupart du temps il n’a pas même été possible de mitiger les dégâts.
Deuxièmement, parce qu’il y a plein de monde qui nous déteste vraiment. Etant donné la facilité humaine à s’acharner contre tout ce qui est perçu comme une déviance, on peut dire qu’être outé en tant que thérian est vraiment craignos (et surtout si l’on a une approche spirituelle/religieuse de la question). Cela semble s’être confirmé par expérience quand des familles fondamentalistes chrétiennes de quelques mineurs ont découvert la chose, de la même manière que pour d’autres personnes qui ont été outés dans des communautés plus grandes.
Un jour cela ne sera peut être plus le cas; j’espère que ce jour est proche.
Sur la science
Q: Peut-on réfuter l’existence de la thérianthropie?
R: En quelque sorte.
Il est relativement simple de réfuter (au moins d’un point de vue conceptuel) que des êtres humains puissent avoir un comportement d’autres espèces qui ne soient pas déjà des comportements humains. Ca n’arrivera pas, parce que c’est complètement ridicule si l’on prend en compte ce que l’on connait de la psychologie humaine, mais ça pourrait être possible. De la même manière, il serait possible de démontrer que les thérians/otherkin ne sont pas extérieurement différent de la population générale. Mais je ne pense pas que cela se produira non plus.
Il est en revanche impossible, tout du moins avec les techniques actuelles, de pénétrer à l’intérieur du cerveau de quelqu’un et de leur dire qu’ils ne sont pas en train de ressentir les choses qu’ils ressentent (et cela pose la question de savoir jusqu’à quel point croire que l’on fait l’expérience de quelque chose peut la provoquer; effet placebo etc). Et les questions identitaires ne sont pas vraiment des choses qui sont réfutables via les technologies actuelles non plus.
Q: Est-ce que la thérianthropie permet de faire des prévisions concernant l’éthologie?
R: Non. Si la thérianthropie est causées par des facteurs psychologiques/neurologiques, il y a peu de chances qu’il soit possible de faire des prédictions exactes concernant l’éthologie – il n’y a pas de mécanismes qui “transplantent” les comportements des animaux non-humains vers les humains.
Si la thérianthropie a des causes spirituelles, même en mettant de côté la nature non-scientifique de la chose, les thérians ne sont pas des copies conformes de leurs thériotypes. Les frontières peuvent être troubles, et définir quels comportements découlent de quoi nécessiterait une technologie qui friserait avec la magie.
Dans le cas où des prévisions seraient possibles, la thérianthropie serait encore plus bizarre qu’elle ne l’est déjà. Et c’est pourtant vraiment un truc étrange.
Q: Et si la thérianthropie/otherkin avait des causes variées?
R: Eh bien?
Ca n’a pas d’importance. Ce qui nous unit n’est pas le fait que nous ayons une certaine mutation, que nous nous soyons imprégnés d’espèces différentes, ou n’importe quelle autre hypothèse que nous ayons sur notre origine. Ce qui nous unit c’est un ensemble d’expériences vécues. C’est ce qui compte. Mes pairs, je me fout de pourquoi ils sont ce qu’ils sont. Ce qui m’importe c’est le fait qu’ils sont ce qu’ils sont maintenant.
Si un groupe d’individus faisait l’expérience d’une chose qui serait virtuellement la même que le syndrome d’Asperger mais avec n causes fondamentales différentes (et c’est valable pour tout un tas d’autres conditions psychologique/neurologiques comme la synesthésie, la dissociation, la personnalité antisociale, le SSPT, etc), il serait peu probable à mon avis qu’il y ait une distinction arbitraire faite en n communautés différentes basées sur chaque cause fondamentale. Il y aurait peu d’intérêt à cela – ils auraient sans doutes de toute manière à affronter les mêmes problèmes dans la vie de tous les jours, les mêmes expériences uniques qui leur donne leur point de vue particulier, et cetera.
A propos de la communauté
Q: Est-ce que c’est moi ou bien la plupart des thérians ne se conforment pas aux normes de genre, ou hétérosexuelles, ou les deux?
R: Il n’y a pas eu d’étude formelle, mais j’ai l’impression aussi. Une claire minorité est transgenre, bien plus que ce à quoi on s’attendrait [dans la population générale; ndt]. Pareil pour les thérians bisexuels, homosexuels, asexuels, pansexuels, etc.
Pourquoi ces chiffres inhabituels? Eh bien, à mon sens cela renforcerait l’idée de certains thérians que la thérianthropie serait en lien avec le “système mental”; le nombre de thérians transgenres tendrait à appuyer cela. Quant à l’orientation sexuelle… c’est difficile à dire. Peut être que l’orientation sexuelle peut être influencée par la thérianthropie; après tout, la plupart des animaux ne sont pas strictement hétérosexuels.
Q: Pourquoi y a-t-il autant de thérians qui écrivent des essais?
R: Je n’en suis pas certains, mais je pense qu’il y a plusieurs facteurs en jeu. Avant d’entrer dans les détails cependant, il est important de réaliser que tout le monde n’écrit pas d’articles sur la thérianthropie. Je connais beaucoup de monde pour qui ce n’est pas le cas, ils n’en ont simplement pas ressenti le besoin. Ceci mis à part, il semblerait bien qu’un nombre certain le fasse, même si l’on prend en compte ceux qui comme moi écrivent beaucoup de manière générale.
En premier lieu, comme je l’ai déjà dit auparavant, tous les thérians ne veulent pas dire la même chose lorsqu’ils parlent de thérianthropie. Je n’y met pas le même sens que beaucoup de personnes que je connais. C’est d’une part car nos explications diffèrent, mais c’est aussi parce que nos expériences diffèrent. Tenez, moi par exemple. Je contrôle d’une main de fer mes comportements. Je suis doté de libre arbitre et je pourrais en théorie décider de ne jamais exprimer de comportement thérian (à l’exception peut être de grognements quand j’ai mal). Bon, ça serait moche. Les comportements de guépard semblent naturels et me vont parfaitement; les exprimer me rend heureux et accompli, je ressens des pulsions pour certains d’entre eux. Je ne sais pas pourquoi, mais c’est comme ça. Et j’ai une maîtrise de moi similaire à propos de presque tout. Même certaines de mes émotions.
D’autres thérians n’ont pas le même self-control. Donc si l’on veut se comprendre les uns les autres, nous avons besoin d’expliquer la manière dont notre thérianthropie s’exprime, et comment nous réagissons face à elle. La connaissance mène à la compréhension, au moins dans ce cas. Cela assure aussi la paix et la tranquillité; combien de disputes pouvons nous ainsi éviter si chacun comprend ce que lui raconte l’autre?
En second lieu, [le nombre de thérians qui écrivent des essais] pourrait être dû à une norme sociale. La plupart des sites web thérians possèdent de tels textes personnels, et je connais beaucoup de forums qui ont une section qui leur est dédiée. Et la plupart des thérians et otherkin les plus importants dans la communauté ont écrit des essais perso d’un genre ou l’autre; on pourrait considérer cela comme une sorte de tradition. D’une part cette tradition pourrait être due au fait qu’à divers moments, certaines idées n’ont pas été bien reçues dans la communauté thériane/otherkin, donc ils permettent de constituer une “archive” des personnes qui ne sont plus nécessairement dans le coin à participer activement aux discussions comme le reste d’entre nous.
En même temps, comme Akhila l’a fait remarquer quand j’expliquais ceci, il n’est pas uniquement question de récompense sociale [de la part de la communauté, pour ceux qui écrivent des essais; ndt]. Au fil des ans, divers membres de la communauté thériane se sont retirés socialement des principaux groupes (la Werelist, Wulf Howl, Therianthropy.org, la Weresource, etc), et continuent pourtant à écrire des articles. Il n’y a pas de punition non plus; la plupart des thérianthropes n’écrivent pas d’essais personnels, et il n’y a aucune honte ou perte de statut associée à cela.
[…] c’est plutôt un genre de pratique virtuelle répandue. Comme d’autres sous-cultures, nous aimons garder des traces de notre histoire, de ce qui s’est produit ou a été dit. De plus, il y a une volonté spécifique de créer des ressources pour le développement personnel (d’où le grand nombre de FAQ et autres guides). Ceci est dû au fait que nous avons des besoins spécifiques qui ne sont pas satisfaits dans le monde extérieur (comme trouver nos pairs). Et dernièrement, il est possible qu’il y ait une minorité de personnes qui souhaitent s’établir en tant que voix importantes dans la communauté (c’est à dire obtenir un certain statut social). De ce que j’ai pu voir sur les dix dernières années, je pense que ce sont les raisons principales expliquant la création de sites web perso dans la communauté thériane.Akhila (cité avec permission)
Objections
Q: N’êtes-vous pas sujet au délire?
R: Un délire est une perception dont on prouve la fausseté. Bien qu’une toute, toute petite minorité de thérians/otherkin attribuent leur condition à des causes génétiques, la grande majorité préfère les hypothèses non-vérifiables spirituelles ou psychologiques. Pour la plupart, les hypothèses psychologiques données se résument à “nous sommes bizarres”.
Donc je réponds à votre question par celle-ci: “Pouvez-vous démontrer que je ne suis pas bizarre comme je l’ai décrit?” (si vous pensez immédiatement “c’est lui qui a la charge d’apporter une preuve”, voir la question suivante). Sinon, je suggère que vous trouviez un nouvel argument. Dans ce cas, j’attends avec impatience votre explication concernant comment, de la connexion Internet que vous utilisez, vous êtes capables de procéder à ma psychanalyse, je vous prie de m’indiquer vos qualifications en la matière, et de me dire quelle est la couleur de la chemise que je porte actuellement.
Q: Mais vous n’avez aucune preuve…
R: Pas dans le sens scientifique, non. Mais nous vous demandons moins de nous croire que de ne pas nous harceler. Il y a une différence là dedans. Peu m’importe ce que vous pensez. Ce qui compte pour moi c’est ce que vous faites et dise. Non, nous ne pouvons pas prouver scientifiquement que nous existons, pour le moment. Personne n’a réalisé d’étude sur les thérians et otherkin et montré que nous agissons de la manière que nous avons décrite. Mais ce n’est pas si compliqué d’admettre que c’est possible (étant donné qu’il existe bel et bien des personnes qui se comportent comme des animaux et non comme des humains, qu’on connait via la lycanthropie clinique; il semble relativement raisonnable de dire qu’il existe peut être des personnes qui se comportent comme nous), donc si vous voulez bien nous permettre cela…
Ce n’est pas grand chose que de demander que vous ne nous insultiez pas.
Q: Mais vous êtes un danger pour les plus jeunes!
R: Ceci n’est pas une question. C’est une phrase exclamative.
Q: Mais vous êtes un danger pour les plus jeunes, n’est-ce pas?
R: L’idée générale derrière cette question, si j’ai bien saisi, serait que les thérians/otherkin vivent dans un monde imaginaire de leur cru, et qu’ils auraient une mauvaise influence sur les autres. Voyons cela une chose après l’autre.
Tout d’abord, la thérianthropie ne relève pas du “délire”. Ce que nous disons, c’est que nous sommes bizarres. Certains d’entre nous ont des explications compliquées sur le pourquoi, mais pour la plupart elles suivent leur propre logique, ne sont pas connues pour être nécessairement fausses, et par ailleurs elles ne foutent pas en l’air la vie des personnes qui croient en elles, donc je m’en contrefiche. Il n’y a pas de raison que cela m’importe; ça commence à m’importer seulement quand ces personnes prétendent que tout le monde doit croire en ce qu’elles croient ou trouver leurs explications intéressantes. Je ne vois pas trop pourquoi ça devrait importer à quiconque, à moins de croire que n’importe quel manque de rationalité est mauvais par essence, point.
Ensuite, concernant le passage au sujet de la mauvaise influence. Oui, ça arrive parfois. Une personne dans les communautés thériane/otherkin donne à quelqu’un d’autre un conseil totalement débile. Cela se produit aussi dans littéralement tous les groupes humains, à l’exception de celui qui se nomme “les gens qui ne donnent jamais, au grand jamais, de conseil stupide” et qui est une catégorie ridiculement petite. On essaye de garder un oeil sur les nôtres, de veiller à ce qu’il n’y ait pas d’individus qui essayent de pousser les personnes vulnérables à faire de mauvaises choses, comme dans n’importe quelle autre communauté. Je ne suis pas non plus au courant d’une quelconque preuve qui indiquerait que le problème des mauvaises influences est plus répandu dans la communauté thériane/otherkin que partout ailleurs.
Q: Et en ce qui concerne les ex-thérians/otherkin?
R: Les fois où j’ai entendu parler de ça, c’étaient des individus qui avaient été harcelés jusqu’à ce qu’ils renoncent à leur identité; je me souviens d’un individu en particulier qui disait quelque chose de ce goût là sur quelqu’un qu’il connaissait avoir été “à juste titre” harcelé à cause de leur identité otherkin jusqu’à ce qu’il l’abandonne. Il y a une conclusion à en tirer, et ce n’est pas que les thérians/otherkin “font semblant” (quand, je le rappelle, il est question de bizarrerie), mais c’est que quelques individus ont été tyrannisés jusqu’au point où ils ne pouvaient se sentir bien qu’en renonçant à leur identité propre.
Même s’ils sont sincères, je doute qu’il n’y ait qu’une seule explication étant donné la diversité des thérians/otherkin. Peut être qu’ils se sont forcés à supprimer l’expression de leurs tendances thérianthropes/otherkin, et ont en quelque sorte supprimé leurs instincts (et il s’agit en fait de dressage; on ne fait pas disparaître de tels comportements par magie en claquant des doigts). Ca ne veut pas dire que nous le pouvons tous; d’autre part je n’y vois pas trop l’intérêt si cela pourrait être une source de problèmes, étant donné que vouloir refaçonner son mental peut produire de sales effets secondaires.
Tous les ex-thérians/ex-otherkin que j’ai vus le sont prétendument et sans preuve de leur existence même, ou venant de suggestions impolies et absurdes d’individus (ou plutôt des individus harcelant ceux qui ne les bloquent pas sur Tumblr) que si des personnes ont pu se tromper [sur leur identité; ndt], cela signifie que nous sommes tous dans l’erreur. Même chose pour les ex-multiples. Ces individus sont soit inconscient du fait qu’ils ne sont pas le centre de monde, soit inconscient du fait que l’idée que “une personne se trompant signifie que tout le monde se trompe” voudrait dire que le cancer, l’hémophilie, l’autisme, le syndrome d’Asperger, les rhumes, la personnalité antisociale, l’obésité, et toutes les orientations sexuelles possibles, n’existent pas non plus.
En général, ces personnes prétendent que la science et/ou la religion repoussent la thérianthropie/otherkin en dehors du domaine du possible… en dépit du fait que j’ignore quels peuvent être les arguments vis à vis de la science, et ma réaction vis à vis de l’approche religieuse est identique à celle que j’ai face à quelqu’un qui essaye d’obliger tout le monde à adhérer à ses croyances.
J’aimerais aussi souligner le fait qu’il existe des thérians qui sont des chefs religieux (à l’échelle locale) et des scientifiques. Ca ne prouve rien en soi, mais cela suggère néanmoins que ces personnes n’ont trouvé aucune contradiction entre la thérianthropie et la science ou la religion, respectivement. Je sais bien, évidemment, que les humains ont cette capacité à avoir deux opinions différentes à la fois (et ceci est à la limite de l’argument d’autorité), mais je pense que c’est tout de même suffisamment pertinent pour qu’il en soit fait mention.
Oiseautistique
Par Tsu
Je suis autiste.
Je suis oiseau.
La société essaye de dire que ce sont deux choses différentes. Souvent je me dit qu’elles ne font qu’un. Où commence et se termine la séparation entre les battements de bras autistes et ceux aviens? Entre les piaillements de joie d’oiseau et le babillage autistique?
Je n’en sais rien. Je n’ai pas envie de les différencier. Je suis oiseau et autiste. Je ne peux pas distinguer ces choses l’une de l’autre.
L’oiseau est mouvement. Je l’ai déjà dit dans de précédents textes sur ce qu’est “oiseau”. C’est le mouvement, le rythme, le vent dans les ailes, ce qui te balaie en te tirant plus avant dans le ciel, répétitif, un-deux, un-deux. vers le haut. vers le bas. La vitesse variable, quand le vent autour de soi change. Je n’ai pas le vent, je n’ai pas d’ailes, alors j’utilise la musique, je me balance sur ma chaise, j’utilise les mouvements de la voiture, j’utilise un mot ou une chanson en boucle dans ma tête. Parfois j’utilise tout cela en même temps, me balançant tandis que la voiture roule comme la musique résonne et mon coeur se gonfle entre mes côtes et que mes lèvres bougent au rythme de la chanson, et je la chante encore encore encore dans ma tête, un-deux, un-deux, là plus vite là plus lentement là descendant là montant, haut haut haut haut b a s.
Je ne peux pas voler, alors ceci est mon envol.
Le mouvement et le rythme, ces choses sont apaisantes, familières. On berce un enfant et la personne autiste se balance et bat des mains et l’oiseau s’élance dans le vent, tous ces mouvements similaires, ces rythmes similaires. C’est apaisant, familier, pour un oiseau de voler: je n’en doute pas. C’est apaisant de courir, de sentir la terre ferme sous ses pieds, tap tap, un, deux, ou d’écouter la course d’un cheval, les sabots sur la route, undeux, troisquatre, undeux, troisquatre. Si c’est apaisant à nos oreilles, si cheval ou un chien laissés seuls à eux-mêmes courront de joie par principe, alors je pense que voler doit être réconfortant pour les oiseaux. Cela doit être la joie de se sentir chez soi, un mouvement familier, un coup d’aile vers le haut, vers le bas.
(On critique les personnes autistes qui se balancent ou de battent des bras. De vouloir ce mouvement familier. De vouloir voler. De chercher à sentir le rythme. De comprendre la joie dans le rythme, peut être plus que la plupart des humains, qui ne l’aiment que dans des situations très particulières. La musique. La danse. La poésie. Ecouter le reflux de l’océan sur la plage. Imagine si à chaque fois que tu bougeais, tu bougeais en une dance et ressentais le plaisir de la cadence. C’est la vie d’un animal, d’une personne autiste. Comme les animaux, nous dansons tout le temps, nous courrons, nous volons.
Et parfois, nous courrons, nous volons, parce que nous sommes des animaux. Parce que le besoin de courir et celui de voler et celui de danser est en nous, l’appel de nos ancêtres qui ne sont pas nos ancêtres qui sont nos ancêtres plus que la science ne peut le démontrer.)
Les humains ne font du bruit que lorsqu’on l’attend d’eux. N’est-ce pas étrange? Quand un humain fait un bruit soudain, c’est traité comme de la maladie mentale. A moins que ça soit une chanson ou un fredonnement, et encore, ce n’est autorisé que dans certains endroits. Tu ne peux pas chanter si tu fais la queue à la banque. Mais les oiseaux chantent constamment. Les oiseaux chantent pour trouver un compagnon, ils chantent pour dire “il y a à manger ici”, ils chantent pour dire “je suis là”. Et parfois, on dirait qu’ils chantent juste parce qu’ils en ont envie. Ils chantent parce que chanter fait du bien, comme un chien aboie lorsqu’il s’ennuie, comme un chat se promène dans la maison en miaulant parce qu’il a mangé de l’herbe à chat et qu’il a envie de faire du bruit. Il n’y a pas toujours de raison. C’est bien de faire du bruit. Les oiseaux le savent. Les personnes autistes le savent. On peut faire du bruit.
Je produis du son pour le plaisir. Je cours parce que le rythme me réconforte. J’imagine le vent sous moi, me poussant plus avant. J’imagine mes ailes battre lourdement tandis que j’agite les bras.
Je suis autiste.
Je suis oiseau.
Ces choses ne sont pas très éloignées l’une de l’autre.
Je ne suis pas la grâce de la biche
Par Yourdeer
Il existe une belle image romancée de la biche: elle est gracieuse, élégante et délicate. Elle est innaccessible et timorée, disparaissant silencieusement au moindre bruit. Son regard est le stéréotype même de la féminité vulnérable et docile, et c’est une chose précieuse et émouvante que de la surprendre vous observer en retour un profond instant juste avant qu’elle ne se sauve.
Je ne suis pas cette biche.
En un sens, je déteste cette biche, car aucune n’est réellement comme elle. Cette biche est tout en charmes, et quand on pense à sa réalité, on passe sous silence le fait que les cervidés sont des animaux qui possèdent toutes ces vérités inéluctables de ce qu’un animal en chair et en os est vraiment, comme sentir mauvais, provoquer le malaise, être maladroit ou violent.
Quand j’ignore ces vérités j’ai l’impression de mentir. Je n’ai jamais trouvé cela bien, au fond de moi, de prétendre que ce qui est source de plaisir ne manque pas aussi de dignité et de grâce, ou faire comme si ce qui est généralement viscéral et écoeurant n’est pas également magnifique et jouissif. Prétendre cela, ce serait nier la moitié de mes joies et enterrer profondément certaines vérités, qu’elles concernent les humains ou les cervidés.
Les biches ne sont pas tout en douceur et fragilité. Elles peuvent être particulièrement aggressives et peuvent aisément passer pour cruelles aux yeux des standards humains. Au coeur de la famine hivernale, une biche en bonne santé, une battante capable de tenir tête face à ses semblables, le fera sans aucune hésitation. Elle empèchera activement les autres biches et leurs faons d’accéder à la nourriture, même si elle est déjà repue. Elle repoussera une famille affamée des resources qu’elle considèrera siennes, et elle attendra qu’ils soient partis avant de s’éloigner de tout cet excès.
Les cerfs ne fuient pas toujours face au danger non plus. Plusieurs récits font état d’attaques envers les chiens et les humains en cas de menace, et certaines sont parfois brutales. Quand il est question de leur survie, les animaux qui soutiennent la comparaison face à leurs stéréotypes romancés sont peu nombreux, mais un cervidé désespéré peut être en parfaite opposition avec son image de douceur communément acceptée. Ses fins et délicats sabots se transforment en armes surprenantes et formidables qui peuvent meurtrir, lacérer, et briser des os. Pas de grognement découvrant des crocs à la vue de tous: sans dents du dessus, une gueule ouverte n’est pas particulièrement menaçante. L’expression se retrouve moins sur le visage que dans le déchaînement des membres graciles qui cherchent à blesser. En cela, j’y reconnais la manifestation de ma colère, sa soudaineté et ma méfiance. J’y reconnais mon agacement et tapement de pied quand je reste peu accueillante jusqu’à ce que la personne que je n’aime pas s’en aille. J’y reconnais l’attaque qui reste en veille jusqu’à ce que l’un des miens, plutôt que moi-même, soit menacé. J’y reconnais la tension provoquée par la suspicion sociale et l’aversion présente dans la plupart des êtres, mais je la retrouve plus particulièrement dans la manière d’être généralement silencieuse et presque dépourvue d’expression des cervidés.
Les cerfs ne sont pas de paisibles végétariens. On sait que les cervidés tuent vraiment, parfois pour se nourrir, et qu’ils se servent sur les carcasses d’animaux morts – non seulement en hiver, mais aussi en été lorsque l’herbe est abondante. Les poissons échoués, les jeunes oiseaux cloués au sol, les lapins morts ou les piles d’ordures ont déjà trouvé auparavant leur chemin jusqu’à l’estomac de ruminant du cerf. Je n’ai jamais fait de rapprochement entre mon régime alimentaire et celui des cervidés; il y a peu de choses qui me sont aussi agréablement, merveilleusement humaines que la manière dont on prépare la nourriture. Et pourtant nous sommes tous deux des omnivores, et je tire une certaine satisfaction en sachant qu’il n’y a pas de “seulement ceci” ou “rien de cela” dans le régime alimentaire des cerfs.
Les cervidés ne sont pas toujours timides ou nerveux, et la timidité ne se traduit pas non plus en solitude. Il y a coalition entre le cerf de Virginie et la dinde; il y des jeux avec les lapins et les raton-laveurs; il y a tolérance envers le coyote solitaire ou le chien domestique inoffensif. Il n’y a même pas toujours de crainte envers les humains, comme de nombreux jardiniers d’une patience à toute épreuve peuvent en attester dans la banlieue et à la campagne. Un cerf en sécurité peut être audacieux ou amical, et les cerfs sont connus pour avoir démontré un certain intérêt social envers de nombreuses autres espèces comme les oies, les lapins, les chiens et les chats, parmis tant d’autres.
Le cervidé intrépide en terrain sûr est celui que je suis. Méfiante et nerveuse jusqu’à ce que l’autre ait prouvé qu’il n’est pas une menace, je suis des plus franches envers ceux qui me sont proches; je peux faire tout ce qu’il me plait, la plupart du temps, sans aucune crainte. Et en tant que cervidé, j’aime garder près de moi ces personnes parmis lesquelles je me sens en sécurité.
Les cerfs ne sont pas tout en grâce et en préciosité. Ce sont des cervidés, et les cervidés sont des animaux très portés sur l’olfactif. Pour un cerf, la communication passe par l’odeur; en tant que mammifère non-humain, l’outil principal de ce langage est l’urine. Pour avertir de sa présence, il se vautre dans ses propres sécretions et il asperge ses sabots de son urine. Fait la court, et donc se reproduire et survivre, dépent totalement de ce que nous pourrions considérer comme une réalité écoeurante. Et pourtant sans celle-ci il n’y aurait pas de cerfs.
En tant qu’être humain, que l’on puisse redouter les fluides sexuels me rend perplexe. En dehors des préoccupations concernant un risque de grossesse ou de maladie, c’est un concept qui m’est totalement étranger que l’on puisse aimer le sexe tout en étant décontenancé par la chose qui donne à cette activité son odeur et sa texture. Fort heureusement, je n’ai pas besoin d’utiliser mon urine pour signaler mon désir à mes partenaires, mais me débarasser des odeurs de sexe m’attriste. C’est peut être un réflexe humain, mais savoir que les cervidés font tout leur possible pour renforcer leur odeur pendant la période de rut me permet d’embrasser ma propre tendance à me complaire dans les odeurs corporelles.
Dans la règne animal, il est rare d’observer un accouplement que l’on puisse considérer digne ou romantique. Les cerfs ne font pas l’exception. Et le manque de dignité de l’accouplement animal me rappelle que la représentation culturelle de la sexualité humaine comme phénomène passionel parfait, gracieux et sans faille n’est qu’une construction par ommission. Les vocalisations grotesques, les bruits stupides et les mouvements maladroits ne sont pas moins merveilleux que les aspects idéalisés de l’expérience: je le vois dans le grognement, le brame et le coup d’encolure du cerf.
La grâce de la biche, son élégance, ne sont pas ce qui fait de moi un cervidé. Le stéréotype romantique est là, c’est sûr. Les cerfs peuvent effectivement se sauver, et j’ai en effet tendance à préférer la fuite à la confrontation. Les cerfs peuvent être élégants, et parfois je me sens le pied léger et je me meus avec aisance dans ce grand corps à lourde ossature, quoique souple. Les cerfs sont fragiles, et je me sens fragile en ce que je sais que les cerfs meurent très, très facilement; ayant vécu quelques années dans un milieu rural où la population de cerfs est supérieure à la poluation humaine, j’ai vu beaucoup de cerfs morts, et il était impossible d’ignorer le taux de mortalité du cerf de Virginie dans une communauté de chasseurs où florissait également une population de coyotes de l’Est.
Et cependant je ne me sens pas gracieuse. En temps normale je me sens immensément maladroite, et il y a quelque chose du cerf qui me parle de cette maladresse. Prendre peur à la moindre chose, l’indignation gauche causée par un dérangement, la fuite désordonnée, les grandes pattes qui bondissent, les machouillements de bouches bizarres – tout celà est “cerf”. Certaines de ces choses se retrouvent dans le cliché romantique, mais je ne les perçoient pas ainsi. Je ne pense pas qu’être un cervidé me rende belle, désirable, ou délicate.
Croire qu’être un cerf est purement positif, sans rien de stupide, sale, désagrable-rien-qu’a-y-penser, c’est mentir. Oui, il y a certains aspects des cervidés qui peuvent être magnifiques et parfaits et dans lesquels je me reconnais, parfois beaucoup. J’aime les mouvements d’oreille, l’éclat du regard, les fins sabots se soulevant et ne touchant pas tout à fait le sol, la queue relevée, la fuite soudaine et bondissante. Ce sont des choses que je peux ressentir. Mais je peux aussi percevoir l’encolure qui se tend pour paître, l’indignation lorsque l’on empiète de trop, le besoin de se cacher, de fuir, d’avoir peur. Je peux ressentir le bruit grotesque d’un grognement et d’un râle, l’inconfort d’être figé par surprise et pris dans des phares aveuglants, les sabots qui se débattent, et la fuite désordonnée en toute hâte.
Je ne peux pas nier la beauté et la solennité de se sentir cerf, ou de suivre la piste d’un cerf dans les bois. Je ne peux pas ignorer le confort rugueux de l’écorce et la pénombre des senteurs boisées, la profondeur de la mousse et les lits d’herbes hautes aplaties. Mais je ne peux pas non plus ignorer le fait que les pistes de cervidés sont aussi ponctuées d’excréments, que la fourrure et les tendons s’accrochent bien trop longtemps aux pare-chocs avant, que les cris et brames du cerf sonnent ridicules à l’oreille, ou comment la carcasse d’un mâle est suspendue sans plus de cérémonie en Novembre. La quiêtude et la subtilité du sentier du cerf, inévitablement parsemée de petites piles d’excréments, est pour moi une métaphore adéquate de mon expérience en tant que biche: je peux reconnaître la part de beauté et de merveilleux, mais je dois également prendre en compte ce qui est gauche et met mal à l’aise. Je ne serais pas cervidé si je ne pouvais pas accepter à la fois le charme et le désagrable de la biche.
L'animal anorexique: la thérianthropie et les troubles des comportements alimentaires
Par Khamaseen
Les troubles des comportements alimentaires et la thérianthropie peuvent interagir de manière très vicieuse. Durant les affres d’un de ces troubles, je me suis convaincue que mon corps était une cage qui contenait mon “vrai” moi. Tout ce dont j’avais besoin était simplement de perdre assez de poids pour déverrouiller cette cage, et à cause de ma thérianthropie, ce qui se résidait à l’intérieur de cette cage était mon type animal. Un énorme obstacle fut le fait que j’ignorais que mon identité animale m’empêchait de me rendre compte de mon trouble et de me rétablir. J’écris cet essai dans l’espoir qu’il puisse à l’avenir être trouvé par toute personne-animale ayant un trouble des comportements alimentaires, et qu’il puisse les encourager sur le chemin de la découverte de soi et de la guérison.
La première étape vers la guérison d’un trouble alimentaire, et probablement la plus difficile, est d’abord d’admettre que l’on a un trouble alimentaire. Cela peut être plus dur que la normale quand on est convaincu que beaucoup de nos comportements alimentaires trouvent leur origine dans notre identité animale. A un moment de ma vie, j’ai réussi à me convaincre que vomir quotidiennement était naturel pour moi puisque les vautours vomissent en réaction à la peur. Il m’a fallu me rendre compte que juste parce que mon type animal se comporte d’une manière, cela ne voulait pas dire que je pouvais me comporter de la sorte avec un corps humain. Le corps humain pouvait être blessé ou tué par de nombreux comportements non-humains, et vomir à chaque fois que j’étais angoissée en faisait partie. D’autre part, j’ai fini par me rendre compte que m’identifier en tant que vautour était juste une excuse, et que mon type animal n’était pas ça du tout. Mais plongée dans l’ombre de mon trouble, comment aurais-je pu le voir?
Le trouble dysmorphique du corps fait référence à l’illusion dont souffrent les personnes présentant un trouble de l’alimentation. En substance, elles ne savent pas à quoi leur corps ressemble; leur perception est déformée. L’un des exercices que j’ai fait durant mon traitement consistait en ce que je dessine ma silhouette à taille réelle sur le mur, pour qu’ensuite je me place dessus et que mon formateur trace mon contour. Les contours de mon corps et du corps que je pensais avoir étaient considérablement différents. Il y avait presque un mètre de différence entre le corps que j’ai dessiné de mémoire et le corps que mon formateur avait tracé. La dysphorie d’espèce pouvait encore plus compliquer la dysmorphie corporelle. Non seulement j’étais sujette à l’hallucination concernant la réalité physique de mon corps, mais je ne pouvais pas non plus reconnaître ma réalité physique quand bien même je parvenais à passer outre le trouble dysmorphique. Je n’avais pas le sentiment d’avoir progressé du tout. C’était un cauchemars sans fin où la projection extérieure de moi-même n’était jamais “correcte” à mes yeux.
Je me suis convaincue que mon corps était l’ennemi. Non seulement c’était le “mauvais” corps, celui d’un être humain, mais il était gras et repoussant. Une cage de cellulite m’entourait de toute part. J’avais le sentiment que mon “moi réel” était prisonnier à l’intérieur de cette prison de graisse. Ce moi réel était un animal. Bien que je savais d’un point de vue superficiel qu’il n’était pas logique de se sentir ainsi, je ne pouvais pas non plus m’empêcher de penser que si je parvenais à être suffisamment mince, je pourrais libérer mon animal intérieur. Si je ne pouvais pas être mince en revanche, alors je ne serais jamais un animal.
Le sport est devenu une addiction. Non seulement il brûlait les calories, mais l’adrénaline me rendait euphorique durant mes shifts. Lorsque je courrais, je pouvais presque voir une lumière au bout du tunnel. J’étais sur la voie de “la vraie animalité” par la réalisation de la perte de poids. Je me disais que j’allais mincir, puis que je deviendrais un animal. Je me faisais des idées.
Ce que j’étais réellement en train de créer c’était un chat sans griffes, une girafe sans cou, une chouette sans ailes. Je rejetais mon corps, qui est une part si importante de moi-même, et par là-même je rejetais mon “vrai moi”. L’animal et le reste. Le trouble alimentaire n’était pas seulement aggravé par ma thérianthropie, mais je ne pouvais simplement pas libérer mon animal tant que je me rejetais moi-même. Il m’a fallu guérir et apprendre à m’accepter pour ce que je suis. Mon corps, toujours anguleux suite à ce qui c’était produit mais sain, était une part de moi-même. Après avoir réalisé cela, je me suis “éveillée” plus ouvertement. La seule cage dans laquelle j’avais enfermée mon animal était la prison de ma maladie. Déverrouiller cette cage signifiait réaliser que j’avais un soucis, me faire soigner, et apprendre à aimer chacun de mes aspects. Aimer le corps humain aussi bien que l’animal à l’intérieur.
Par Tsu [réponse au texte ci-dessus]
Waouh. Je suis un peu surprise de lire ceci, parce que j’ai eu une expérience très similaire. Je n’ai jamais rien vu de tel écrit au sujet de l’animalité et des troubles des comportements alimentaires, et j’ai rencontré seulement deux ou trois personnes qui disaient que leur trouble alimentaire avaient quelque chose avoir avec leur identité, alors je me sentais un peu seule.
Pour ma part il y avait plusieurs choses… Etre un oiseau signifiait être mince, fragile et légère. Et plus j’étais légère, plus il y avait de chances qu’un jour je puisse voler, si cela devenait un jour possible d’avoir des ailes. D’autre part, plus je grandissais, plus mon corps – mon mauvais corps humain – existait. Ne plus avoir de corps, faire disparaitre mon corps, était toujours mieux qu’avoir le mauvais corps.
Je pense qu’il y avait une dysphorie réelle, en plus du délire. L’image que j’ai de mon corps est celle d’un animal qui EST vraiment léger, étant un oiseau. (Le cygne est l’un des oiseaux vivants les plus lourds, mais toujours plus léger en comparaison avec un être humain.) Il est donc naturel que mon corps me semble “trop lourd”. D’une certaine façon, c’était le cas, ce qui rendait la chose plus difficile à combattre, parce qu’on souhaite se rapprocher de l’image de soi que l’on a, et c’est un vrai but… mais il fallait que je me rende compte que, dans un corps humain, je ne pouvais l’atteindre en me laissant mourir de faim.
Je pense que deux choses m’ont aidée à m’engager sur la voie d’un rétablissement. D’une part, admettre pour moi-même que je n’aurais jamais voulu m’arrêter. Il n’y avait aucune fin à cela, c’était juste un cercle de destruction encore et encore, donc l’idée que “lorsque mon corps sera parfait, j’arrêterai…” était fausse. Ca n’aurait jamais été parfait. L’autre chose fut de regarder une vidéo sur Youtube faite par une anorexique en voie de rétablissement qui avait souffert de nombreux problèmes de santé. J’avais déjà vu de telles vidéos auparavant, je me mettais même au défi de les regarder car je voulais “rester forte” devant elles. Mais, pour une raison quelconque, cette ci en particulier m’affecta et je pris peur.
Et mon corps est effectivement toujours abîmé à cause de tout ça. Donc, je suis contente d’avoir arrêté. Je ne suis pas le genre de personne qui peut dire “aimer aussi son corps humain”, ma dysphorie est trop importante. Mais j’ai réalisé que je me fourvoyais.
Comment je vis mon animalité en free party
Par Olwun
J’étais là, devant ces énormes caissons de basses qui faisaient vibrer mon corps et mon esprit tout entier à chaque battement qui raisonnait dans ce vieil hangar désaffecté. Nous étions perdus au milieu de nulle part, dans un endroit où la nature avait déjà bien commencée à reprendre ses droits, en 20 ans d’inactivité humaine. Des arbres démolissaient les murs de la base militaire abandonnée, et s’infiltrait dans le toit à la recherche du soleil. Les racines dévoraient le béton et les feuilles tapissaient l’intégralité des bâtiments. C’était un superbe spectacle de reprise de puissance de la nature… Et aussi une image énorme, qu’était le fait de faire une fête dans un endroit qui jadis défendait les valeurs de la guerre.
Il faisait nuit, la lune était pleine et nous éclairait de toute sa splendeur. Sa lumière traversait les fenêtres brisées, et la forêt qui nous entourait planait dans un climat mystérieux et subtil sous cet astre merveilleux. Il y avait beaucoup de féérie dans tout cela, surtout lorsqu’on osait lever la tête et observer les étoiles qui resplendissaient mal gré cette nuit de fin décembre. Ces lumières scintillaient dans mes yeux, je ressentais leur bienveillance nous accompagner ce soir. Les lumières colorés de la fête décorait le site. Il faisait étrangement bon, il n’y avait simplement que de temps à autre une mince caresse de vent frais d’hiver qui venait nous caresser les épaules… Dans le hangar, il faisait presque chaud.
Je dansais, je tapais du pied contre le sol qui nous accueillait cette nuit. Mon corps suivait chaque vibration, chaque « boum », cette musique répétitive traçait dans mon esprit le chemin qu’il devait suivre en écoutant cette mélodie. C’était une atmosphère qui me faisait beaucoup penser à celle d’une tribu, sous ces battements simples et ordonnés, qui nous unissaient sous un même rythme.
J’imaginais un loup courir sur ce rythme qui galopait rapidement. Je visualisais la forêt défiler devant moi, et je sentais la force que mettait mon esprit dans ce voyage. Dès que je sortais du hangar, une envie folle de gambader entre les arbres me prenait. J’aime courir, c’est quelque chose qui a toujours fait s’emballer mon cœur au point que mes sentiments fleurissent dans d’agréables sensations indescriptibles que procure la course.
Je sentais mes oreilles se plaquer contre ma tête avec le son trop fort, et ma queue suivre les mouvements de mon corps qui accompagnait la musique, j’étais bien ici. Même si le son était fort, ce n’était qu’encore meilleur. Je me sentais moi, juste moi. Juste à ma place. Dans une culture que j’ai choisie pour mienne.
Pendant 4 jours, je vivais dans ma petite communauté d’amis. Ma meute à moi. Ma petite famille… Et tout ça dans la nature. Que demander de mieux ? J’aimais ce climat, cette ambiance, ce milieu. Vivre dans un groupe, avoir son rôle et se sentir exister. Cela fait partie des choses qui m’importent le plus, dans ma petite vie…
Dans quelques heures, le soleil allait venir nous bercer dans son éveil, et réchauffer doucement notre peau rafraichie. C’est le moment que je préfère le plus, quand je vais dans une free party. Tout reprend son calme, les plus fatigués s’en vont, et les autres viennent faire connaissance et discutent de sujets divers, et souvent très ouvert spirituellement. Nous parlons des bienfaits de se vider la tête le temps d’une nuit, de ne penser à rien d’autre qu’à notre plaisir partagé. Parce que franchement, ça fait vraiment du bien. Oublier tout ce qui nous tracasse, juste le temps d’une nuit. Ne penser qu’à des choses positives, qu’à des choses qui nous font envie. On veut faire plaisir à ceux qui sont avec nous, et à soi-même… J’adore ça, j’adore vraiment savoir mon entourage heureux, ça me met dans le même sentiment !
Ce que j’aime aussi, le matin, c’est aller jouer avec les chiens de teuf. C’est impressionnant la quantité de gens qui fréquente ces endroits qui y emmène leurs chiens, et ils adorent ça aussi. Ils jouent avec leurs congénères, profite d’être dehors et de courir partout. Je faisais pareil au final, le matin. Je leur cours après et ils me courent après, on s’éclate avec des bâtons et je leur fais des caresses. J’aime beaucoup être avec les chiens, je ressens beaucoup d’affinité avec ces animaux. Nous nous comprenons facilement, et nous partageons des moments agréables.
Je me demande pourquoi je me sens très animale quand je vais à ce genre de soirée. Peut-être parce qu’on nous considère un peu comme des sauvages, qui sait. C’est vrai que de nous voir comme ça, de l’extérieur, on peut certainement penser qu’il s’agit d’une bande de fou qui se déhanches sans raisons sur de la musique qui répète la même boucle de façons plus ou moins diverses, qui se traînent dans la boue avec un menfoutisme inégalable, sans aucune raison. Eh pourtant si, il y en a bien, des raisons. Et je les ai citées plus hauts… Nous nous contentons de suivre nos besoins naturels, pas de réfléchir à toutes ces conneries de sociétés humaines qui tracassent notre quotidiens. C’est très naturel, tout ça. Je pense que c’est l’une des raisons qui me pousse à aimer ce milieu et cette culture, qui me fait me sentir un peu plus « moi » que d’ordinaire. Je suis mes instincts toute la nuit. Je dors, je mange, je m’amuse, je suis mes envies, je passe du temps dans une communauté. Ca ne doit pas être bien plus rythmé que ça, une vie de loup. Très franchement, ça me conviendrait, vraiment ! C’est une des raisons aussi qui me fait me sentir animale, cette jouissance du simple nécessaire de vie. Se satisfaire et prendre plaisir à faire des choses qui d’ordinaire ne semble être que notre train-train quotidien.
Le matin venu, je me suis installée entre deux arbres qui se croisaient pour dormir un peu. Je n’avais pas besoin de plus que ces deux arbres là, et du calme qui régnait à l’endroit quelque peu éloigné de la fête que j’avais choisi. D’autres m’avaient accompagnés dans ma promenade, mais nous étions tous là, silencieux, à profiter des simples gazouillements des oiseaux, du sifflement du vent entre les feuilles, le repos bien mérité de nos oreilles qui ont pu quelque peu souffrir cette nuit. Qu’est-ce que c’était bon. Avec tout cela, enfin le soleil qui comme promis, vint me réchauffer le visage agréablement. Ce sont des petites moustaches que je sentais cette fois, elles que j’ai dû sentir vraiment que quelque très rare fois. Après tout, même les canidés en ont ! Elles me chatouillaient même au point que j’ai dû me frotter les joues plusieurs fois. Au début, je pensais que j’avais quelque chose sur le visage, mais finalement non. Juste un simple ressentis. Ça m’amusait, même. Je souriais béatement entre mes deux arbres dans mon sommeil, jouissant de mon esprit complètement dénué de sentiment négatif. Je sentais mon museau, et bientôt ma queue et mes oreilles refirent leur apparition, j’avais l’impression de les sentir s’emporter par le vent qui s’était un peu accentué ce matin. Dans quelques temps, j’allais retourner au camion, pour me reposer. Ca me convenait parfaitement de vivre dans une camionnette. Je n’avais vraiment rien besoin d’autre, que de me dire que c’était mon point d’attache pendant ces quelques jours. J’ai toujours eu besoin de déterminer un endroit qui me sert de « terrier » quand je vais quelque part, passer du temps. Chez moi, c’est ma chambre. Ici, c’était le camion. Je savais que là-bas je retrouvais mon sac et mon petit nécessaire de vie, à boire et à manger, et de quoi me ressourcer. C’est fascinant comme j’ai besoin de ce petit endroit à chaque fois, et cela fait partie de ce que je considère comme mes petits traits un peu animaux. Je sais que c’est un endroit où je serais au chaud et où je pourrais être à l’abri du monde extérieur, et ça me suffit. Vous voyez, quand je vous dis que j’aime organiser des free party. Parce que je m’y sens vivre, je m’y sens animal, je m’y sens moi. C’est tout bête mes critères, mais c’est comme ça que je le sens. Et ça me procure du plaisir, qu’est-ce que je veux encore de plus. Rien. Rien du tout!