Le labyrinthe de l'animalité

Par Twido
Si un jour je devais représenter ma manière de penser, je ferais ça :
gribouilli
C’est moche, hein ? Ce n’est même pas de l’art. Ça n’a aucun sens, ni queue ni tête, on n’y comprend rien. Mon cerveau, c’est des gribouillis. J’ai l’habitude de prendre la tête pour tout et n’importe quoi. Je pense, je pense, je pense… en fait, je pense jusqu’à ne même plus comprendre à quoi je pense. “Et si j’avais fait, est ce que… ?” “Suis je réellement… ?” “Pourquoi ai je… ?” Je décortique un sujet X, j’essaye de le prendre à l’endroit, à l’envers, je me pose toutes sortes de questions dessus, je finis par m’embrouiller. J’ai beau me répéter “arrête de te torturer”, je continue à m’exploser le crâne à coup de questions. Je vais finir par croire que mon cerveau est un labyrinthe sans issue : quelque soit la route que je prend, je tomberai toujours sur un cul de sac.
J’emprunte trop souvent le chemin de l’animalité, trop trop souvent. A vu de nez, la route semble dégagée à force de mes allés et retours. Cependant, dès qu’on s’enfonce un peu, nous voilà sur un chemin on ne peux plus tortueux. Une forêt sombre à n’en plus voir le ciel, des ronces, des épines. Un peu comme le jardin d’Alice, mais cette fois en pente. Et là, on est en plein milieu de ce grouillement d’idées. Des lombrics qui se superposent, se mélangent entre entre eux, se collent et pullulent . Aujourd’hui, j’ai envie de mettre mes pensées au clair. J’ai besoin de tout faire sortir. Je sais que je m’avance sur une pente glissante, ce n’est pas grave, j’ai l’habitude de me casser la gueule. Et en plus, cette fois, je serai accompagnée.
Nous voici au premier croisement. Il n’y pas de Chat de Cheshire, pas de “Par ici” ni de “Par là”, pas de “Mangez moi” ni de “Buvez-moi”. A la place, deux immenses panneaux : “Je suis animale”, “Je ne suis pas animale”. Parfois, les inscriptions changent. “Suis je moi même ?”, “Qu’est ce qu’être réellement animal ?”, “Suis je folle ?”.
Je commence à me sentir mal. Et si tout ça n’était qu’une illusion ? Les shifts, les membres fantômes, l’identification, les pulsions… Est ce vraiment moi ? Ou est-ce plutôt ce que j’aimerai être ? Et si c’était la même chose ? J’ai mal à la tête.
Pour me rassurer, je prend mon chemin favoris : celui des souvenirs. Il est propre, désherbé, linéaire. Un seconde jardin du Luxembourg. Les souvenirs me font office de preuves. Je me souviens de l’envie de libérer toute cette animalité en moi, de me laisser aller, d’être moi même. Et là, je fais “tilt”. Je suis rassurée : “L’animalité, c’est ma personnalité. Je suis comme ça, depuis toujours. C’est moi !” Et pourtant, je sais que quand je retournerai au croisement précédent, toutes mes craintes referont surface. Je suis bloquée dans un cercle sans fin.
A force de me creuser la cervelle, je revois des souvenirs que j’aurai préféré oublié. La gêne, le mal-être. Plus j’avance et plus ces souvenirs désagréable reviennent pointer le bout de leur nez. Pourquoi je ne m’arrête pas ?
Je me souviens de cette impression. Celle où je me disais “On m’a retiré le cerveau, on m’a gratté la case “conformisme”, “normes sociales”, “vie en société” et on m’a re-placé le cerveau…à l’envers”. Une fois, alors que je me sentais particulièrement mal, une voix s’est mis à répéter en boucle “T’es une erreur de fabrication”, un peu comme un disque rayé, “T’es une erreur de fabrication”. A moment, le disque a planté et seul le mot “Erreur” se faisait entendre.
J’ai mal au coeur. Je revois Alice courir dans la forêt de Wonderland. Elle trébuche parfois, s’écroule sur le sol.
Je suis Alice et je me prend dans les toiles d’araignées. Je me relève et je tombe dans un trou. J’essaye de m’agripper au rebord mais le mot “HONTE” me marche sur les doigts.
J’ai honte, qu’est ce que j’ai honte. J’ai honte de ce que je suis, j’ai honte vis à vis des autres thériantrhopes, j’ai honte d’avoir honte. Puis, comme si ça ne suffisait pas, un panneau se redresse. Il y est inscrit “Qu’est ce que la honte ? Aller, souviens toi de tout ce qui te fait si honte !”
J’ai honte de me sentir renarde. Je me regarde dans la glace, je vois une jeune fille, je n’ai pas de queue, ni d’oreilles pointues, ni de fourrure… Alors pourquoi cette identification ? Je ne sais pas, je ne comprend pas. Je déteste ces zones de flous, je besoin de tout savoir, de tout maîtriser. J’ai du mal à assumer ce ressenti… J’évite, alors, d’en parler à mes proches non-thérians. Et quand je leur en parle, je ne m’avance pas réellement sur le sujet. “J’aime bien les renards, je leur ressemble”, c’est toujours plus facile à dire que la vérité. Une fois, on m’a demandé “Ah, mais encore heureux que tu ne te sentes pas réellement renarde, pas vrai ?” et j’ai répondu “Encore heureux.”
Japper, mordiller, lécher, sentir. Je trouve ça honteux, terriblement. Rien qu’écrire ces mots me fait frissonner… J’hésite à les effacer… Je les laisse ? Je les laisse.
“Mais merde, pourquoi je fais tout ça…?”
Et j’entend un chuchotement qui me répond “Parce que tu aimes ça, être animal.”
J’aime ça… Jouir de plaisirs animaux. Je suis folle. J’ai honte.
Et qu’est c’est que ça ? C’est du plaisir malsain ?
Surtout quand ces pulsions me prennent en publique. C’est une envie, une véritable envie. Je sais que les écouter, ça me ferai du bien. Mais je ne le fais pas. Je pèse toujours le pour et le contre avant de faire quelque chose.
La Reine de coeur me dit : “Tu passeras un bon moment”.
L’As de Pique rétorque : “Tu le regretteras amèrement”.
Et quand je vois certaines personnes qui se disent “animaux”, en train d’hurler à plein poumon ou de grogner dans la rue, je ressens un profond mal être. Ils ne ressentent aucune véritable envie, aucun besoin… Ils veulent juste montrer au monde qu’ils sont différents. Ils se pavanent de manière à dire “Regardez moi ! Je suis animal !” Et en effet, les gens les regardent…
…Je suis peut être jalouse de leur liberté, qui sait ?
J’ai déjà shifté devant des proches et j’ai jamais eu aussi honte de ma vie. J’avais honte de mes actes, c’est clair. Mais j’avais également honte de ressembler à ces pseudo-thérians qui veulent à tout prix prouver aux autres qu’ils sont réellement animaux.
“Et si ? Et si ? Et si ?” J’ai tellement de questions.
“Qui suis je ?” “Pourquoi je suis comme ça ?” “Est-ce vraiment moi ?”
J’ai l’impression de remonter au tout début du labyrinthe…
Je veux sortir de ce délire, quitte à me prendre une paire de gifle ou, dans un cas extrême, à me fracasser le crâne contre le mur. Je me secoue la tête, je respire un bon coup et je me retire de cette bulle.
Je vais sur mon blog histoire de me changer les idées. Dans un commentaire, on me demande “Pourquoi te prends tu pour un animal ?”
J’ai pas envie de répondre, pas maintenant.
Même si cette question est de nature innocente, je ressens un drôle de poids au coeur. Surtout après tout ça.
Si seulement je pouvais tout simplement n’imiter qu’un animal. Je pense que j’agirai seulement comme une bête classe. Je ne ferai que montrer les crocs, grogner et mordre. J’arrêterai de me poser des questions. J’en profiterai pour me montrer sous une forme imposante. Adieu couinement, positions de soumission et tout le tintouin honteux.
La thérianthropie aurait pu être un jeu. Agir de manière sauvage et indomptable. Etre incontrôlable lors de violentes crises animales. Se définir comme un animal bestial et cruel aux couleurs improbables. Si ce n’était qu’un jeu, on ne trouverai ni de dysphorie, ni de honte, ni de mal-être, ni de craintes. Si ce n’était qu’un jeu, il suffirait de cliquer sur “pause” lorsque l’on voudrait passer à autre chose. Mais en échange, on abandonnerai tous les plaisirs que nous offre l’animalité…
Et là, je m’enfonce à nouveau dans le labyrinthe d’Alice.