L'animal anorexique: la thérianthropie et les troubles des comportements alimentaires

Par Khamaseen
Les troubles des comportements alimentaires et la thérianthropie peuvent interagir de manière très vicieuse. Durant les affres d’un de ces troubles, je me suis convaincue que mon corps était une cage qui contenait mon “vrai” moi. Tout ce dont j’avais besoin était simplement de perdre assez de poids pour déverrouiller cette cage, et à cause de ma thérianthropie, ce qui se résidait à l’intérieur de cette cage était mon type animal. Un énorme obstacle fut le fait que j’ignorais que mon identité animale m’empêchait de me rendre compte de mon trouble et de me rétablir. J’écris cet essai dans l’espoir qu’il puisse à l’avenir être trouvé par toute personne-animale ayant un trouble des comportements alimentaires, et qu’il puisse les encourager sur le chemin de la découverte de soi et de la guérison.
La première étape vers la guérison d’un trouble alimentaire, et probablement la plus difficile, est d’abord d’admettre que l’on a un trouble alimentaire. Cela peut être plus dur que la normale quand on est convaincu que beaucoup de nos comportements alimentaires trouvent leur origine dans notre identité animale. A un moment de ma vie, j’ai réussi à me convaincre que vomir quotidiennement était naturel pour moi puisque les vautours vomissent en réaction à la peur. Il m’a fallu me rendre compte que juste parce que mon type animal se comporte d’une manière, cela ne voulait pas dire que je pouvais me comporter de la sorte avec un corps humain. Le corps humain pouvait être blessé ou tué par de nombreux comportements non-humains, et vomir à chaque fois que j’étais angoissée en faisait partie. D’autre part, j’ai fini par me rendre compte que m’identifier en tant que vautour était juste une excuse, et que mon type animal n’était pas ça du tout. Mais plongée dans l’ombre de mon trouble, comment aurais-je pu le voir?
Le trouble dysmorphique du corps fait référence à l’illusion dont souffrent les personnes présentant un trouble de l’alimentation. En substance, elles ne savent pas à quoi leur corps ressemble; leur perception est déformée. L’un des exercices que j’ai fait durant mon traitement consistait en ce que je dessine ma silhouette à taille réelle sur le mur, pour qu’ensuite je me place dessus et que mon formateur trace mon contour. Les contours de mon corps et du corps que je pensais avoir étaient considérablement différents. Il y avait presque un mètre de différence entre le corps que j’ai dessiné de mémoire et le corps que mon formateur avait tracé. La dysphorie d’espèce pouvait encore plus compliquer la dysmorphie corporelle. Non seulement j’étais sujette à l’hallucination concernant la réalité physique de mon corps, mais je ne pouvais pas non plus reconnaître ma réalité physique quand bien même je parvenais à passer outre le trouble dysmorphique. Je n’avais pas le sentiment d’avoir progressé du tout. C’était un cauchemars sans fin où la projection extérieure de moi-même n’était jamais “correcte” à mes yeux.
Je me suis convaincue que mon corps était l’ennemi. Non seulement c’était le “mauvais” corps, celui d’un être humain, mais il était gras et repoussant. Une cage de cellulite m’entourait de toute part. J’avais le sentiment que mon “moi réel” était prisonnier à l’intérieur de cette prison de graisse. Ce moi réel était un animal. Bien que je savais d’un point de vue superficiel qu’il n’était pas logique de se sentir ainsi, je ne pouvais pas non plus m’empêcher de penser que si je parvenais à être suffisamment mince, je pourrais libérer mon animal intérieur. Si je ne pouvais pas être mince en revanche, alors je ne serais jamais un animal.
Le sport est devenu une addiction. Non seulement il brûlait les calories, mais l’adrénaline me rendait euphorique durant mes shifts. Lorsque je courrais, je pouvais presque voir une lumière au bout du tunnel. J’étais sur la voie de “la vraie animalité” par la réalisation de la perte de poids. Je me disais que j’allais mincir, puis que je deviendrais un animal. Je me faisais des idées.
Ce que j’étais réellement en train de créer c’était un chat sans griffes, une girafe sans cou, une chouette sans ailes. Je rejetais mon corps, qui est une part si importante de moi-même, et par là-même je rejetais mon “vrai moi”. L’animal et le reste. Le trouble alimentaire n’était pas seulement aggravé par ma thérianthropie, mais je ne pouvais simplement pas libérer mon animal tant que je me rejetais moi-même. Il m’a fallu guérir et apprendre à m’accepter pour ce que je suis. Mon corps, toujours anguleux suite à ce qui c’était produit mais sain, était une part de moi-même. Après avoir réalisé cela, je me suis “éveillée” plus ouvertement. La seule cage dans laquelle j’avais enfermée mon animal était la prison de ma maladie. Déverrouiller cette cage signifiait réaliser que j’avais un soucis, me faire soigner, et apprendre à aimer chacun de mes aspects. Aimer le corps humain aussi bien que l’animal à l’intérieur.
 
Par Tsu [réponse au texte ci-dessus]
Waouh. Je suis un peu surprise de lire ceci, parce que j’ai eu une expérience très similaire. Je n’ai jamais rien vu de tel écrit au sujet de l’animalité et des troubles des comportements alimentaires, et j’ai rencontré seulement deux ou trois personnes qui disaient que leur trouble alimentaire avaient quelque chose avoir avec leur identité, alors je me sentais un peu seule.
Pour ma part il y avait plusieurs choses… Etre un oiseau signifiait être mince, fragile et légère. Et plus j’étais légère, plus il y avait de chances qu’un jour je puisse voler, si cela devenait un jour possible d’avoir des ailes. D’autre part, plus je grandissais, plus mon corps – mon mauvais corps humain – existait. Ne plus avoir de corps, faire disparaitre mon corps, était toujours mieux qu’avoir le mauvais corps.
Je pense qu’il y avait une dysphorie réelle, en plus du délire. L’image que j’ai de mon corps est celle d’un animal qui EST vraiment léger, étant un oiseau. (Le cygne est l’un des oiseaux vivants les plus lourds, mais toujours plus léger en comparaison avec un être humain.) Il est donc naturel que mon corps me semble “trop lourd”. D’une certaine façon, c’était le cas, ce qui rendait la chose plus difficile à combattre, parce qu’on souhaite se rapprocher de l’image de soi que l’on a, et c’est un vrai but… mais il fallait que je me rende compte que, dans un corps humain, je ne pouvais l’atteindre en me laissant mourir de faim.
Je pense que deux choses m’ont aidée à m’engager sur la voie d’un rétablissement. D’une part, admettre pour moi-même que je n’aurais jamais voulu m’arrêter. Il n’y avait aucune fin à cela, c’était juste un cercle de destruction encore et encore, donc l’idée que “lorsque mon corps sera parfait, j’arrêterai…” était fausse. Ca n’aurait jamais été parfait. L’autre chose fut de regarder une vidéo sur Youtube faite par une anorexique en voie de rétablissement qui avait souffert de nombreux problèmes de santé. J’avais déjà vu de telles vidéos auparavant, je me mettais même au défi de les regarder car je voulais “rester forte” devant elles. Mais, pour une raison quelconque, cette ci en particulier m’affecta et je pris peur.
Et mon corps est effectivement toujours abîmé à cause de tout ça. Donc, je suis contente d’avoir arrêté. Je ne suis pas le genre de personne qui peut dire “aimer aussi son corps humain”, ma dysphorie est trop importante. Mais j’ai réalisé que je me fourvoyais.