La thérianthropie en tant que "nature"

Je reprends ici en français des points développés dans certains de mes textes de 2011 et 2012. C’est un peu brouillon et chaque partie mériterait d’être approfondie, ce que je ferai peut être dans des articles séparés.
Il y a ce concept de l’animalité venant en particulier de thérianthropes mais qui ne se limite pas à eux; en effet, c’est une simple reprise d’un discours répandu plus largement au-delà de cette communauté. On peut le résumer à l’idée que notre identité animale de thérian serait une chose avec laquelle on nait, une qualité essentielle de notre être qui fait de nous ce que nous sommes; une espèce de vérité authentique à l’intérieure de nous qui primerait sur le reste (notamment sur l’éducation et autres influences considérées comme externes).
L’animalité relèverait de ce qui est animal, un trait dont les humains seraient généralement dénués ou qu’ils seraient capable de dépasser car supposés au dessus ou autre qu’animal.
Ce concept de l’animalité comme essence va de pair avec une vision dichotomique (disons dualiste) qui conçoit des associations telles que “animal-nature-instinct” en opposition à “humain-culture-raison”. Car l’animal serait ce qui est à l’origine sauvage, dont les réactions ne seraient pas teintées par quelque influence que ce soit, tandis que l’humain serait le produit de la civilisation – de sa culture (une chose dont tous les animaux non-humains seraient dénués). Et le thérianthrope, étant supposé plus proche de l’animal non-humain que l’humain ne l’est, est pensé comme ayant des réactions plus instinctives ou comme étant plus libre des effets de la socialisation humaine…
Outre le fait que c’est un discours très réducteur sur les animaux non-humains, allant notamment à l’encontre même des recherches récentes sur le langage de certaines espèces ou la transmission de pratiques entre différents groupes… je pense qu’il donne aussi une représentation problématique des thérianthropes en plus de servir d’excuse à tout un tas de comportements sous couvert de “c’est naturel” alors qu’il s’agit de tout autre chose.
Personnellement, ce n’est pas du tout la façon dont je me conçois en tant que thérian, même si je pense que c’est important de reconnaître que certains thérians se vivent effectivement ainsi. De la même manière que certaines personnes trans auront un discours binaire sur le genre et diront par exemple être littéralement “femme dans un corps d’homme” ou être des hommes “parce qu’ils ont toujours aimé les jeux de garçons et détesté les poupées” (quand bien même des garçons peuvent jouer à la poupée ou détester le foot), il y a des thérianthropes qui définiront leur animalité de façon stéréotypée et essentialiste.
Et cela ne veut pas dire que ces personnes ne sont pas des “vrais” ci ou ça; tout ce que je veux dire c’est que c’est un discours sur soi, et pas nécessairement représentatif de l’ensemble auquel il se rapporte. J’aimerais à la fois que les personnes qui découvrent les thérianthropes ne condamnent pas le concept juste parce qu’ils ne sont pas d’accord avec certaines des représentations véhiculées; et d’un autre côté, j’aimerais aussi que certains thérians se posent un peu plus de questions sur ce qu’ils appellent leur “nature”, ce qu’est supposé être un “animal sauvage”, et tout un tas d’autres idées préconçues sur lesquelles ils peuvent s’appuyer pour prouver la légitimité de leur animalité.
Pour ma part, quand je dis que “je suis un corbeau” ou “un leopard”, je ne prétends pas être la réplique d’un corvus corax ou neofelis nebulosa dans un corps humain. Je ne dis pas que je suis par essence, intrinsèquement, tel ou tel animal. Je ne suppose pas ce que serait faire l’expérience du monde dans un corps qui ne serait pas humain, avec un cerveau autre qu’humain et sans avoir été élevé dans une société humaine, parce que je pense que ça serait présomptueux. Ce serait ignorer certaines réalités au profit d’une croyance. Ce que je dis sur moi-même est plus qu’une métaphore, mais ce n’est pas essentialiste; c’est ma manière la plus directe de dire “j’ai des expérience sensorielles et plus qui sont particulières et me poussent à m’identifier à quelque chose d’autre qu’humain, et dont l’approximation la plus proche serait simultanément un félin de type panthère nébuleuse et un corvidé du genre grand corbeau.
Maintenant… c’est bien parce que je ne m’identifie pas de façon binaire que cela me pousse à questionner des “évidences”. Ce n’est pas que je recherche spécialement l’entre-deux, mais je me retrouve souvent dans “l’ailleurs” car il existe rarement de formules toutes faites qui soient en accord avec ce que je suis.
En ce qui concerne la thérianthropie et ce qui nous définit en tant que personne-animales, ce n’est pour moi pas une question de “nature” (spirituelle ou biologique) supposée pré-existante au reste. Et j’emprunte aussi l’idée à certains courants de l’éthologie, pour moi l’animalité n’est pas une qualité en soi qu’un être possède ou non, c’est avant tout un concept humain qui sert à distinguer les animaux non-humains de nous-mêmes, sinon pour désigner la part la moins humaine et dont il faudrait se distancer, s’élever au-delà. Par exemple en niant sa dimension corporelle, ses désirs et ses sentiments, pour laisser place à la valorisation de l’esprit et de la faculté de raison. L’animalité relèverait d’une nature “basse” ou “basique” dévalorisée par la plupart des humains.
Mais le fait est que l’animalité, on la possède tous (ou encore, ce n’est qu’une idée et elle n’existe pas réellement). Ce n’est pas une chose concrète et mesurable en nous, pas plus qu’on ne peut mesurer ce qui fait de nous des hommes, des femmes ou autre chose (je ne parle pas de sexe anatomique, mais bien de la dimension identitaire et sociale). C’est une idée. Il n’existe pas de supposée “animalité” qui soit commune à toutes les créatures sauf les êtres humain. Les humains n’existent pas en dehors du “règne animal”. Plus on étudie les créatures non-humaines et plus on se rend compte à quel point les différences (biologiques et autres) sont plus faibles qu’on ne se l’imaginait. Mais ce n’est pas mon intention de revenir ici sur ce genre d’acquis, pas plus que de faire un cours sur les transidentités ou l’intersexuation.
Il y a beaucoup des traits que certains thérians soulignent pour justifier leur animalité, mais qui existent en fait plus largement chez les autres êtres humains. Les thérians ne sont pas vraiment “plus animal” mais tout au plus dirons nous plutôt “différemment animaux” que les non-thérians. Par exemple l’expression de la violence n’est pas plus a/normale chez les humains que chez les non-humains, et donc chez les thérians. Je trouve ça pathétique d’utiliser son identité animale pour justifier d’un comportement violent. La seule différence entre thérian et non-thérian se situera tout au plus dans la forme: le thérian peut grogner au lieu de crier, griffer au lieu de frapper. Mais la thérianthropie n’est pas une excuse pour tyranniser les autres ou pour “se lâcher”. Il y a une différence entre thérianthropie et irresponsabilité, entre son identité animale et son refus ou son incapacité à gérer ses pulsions.
Je pense qu’il faut parvenir à lâcher un peu prise sur nos idées reçues de l’animal, au final on ne prouvera jamais notre animalité particulières. Etre, au fond de soi, un homme ou une femme, c’est indémontrable. De la même manière, la thérianthropie est indémontrable. On aura beau se raccrocher à tel ou tel trait en argumentant que c’est bien là la preuve de cette nature [d’homme, de femme, d’animal non-humain, peu importe], c’est un terrain glissant et plus on décortique la chose, moins elle tient debout. On sait déjà que demander à quelqu’un de prouver qu’il est humain, de définir ce qu’est l’humanité même, donne sujet à une infinité de textes philosophique sans pour autant apporter de réponse. C’est pourquoi les légitimations superficielles ou fallacieuses de certains thérians vis à vis de leur comportement prétendu animal m’exaspèrent, tout autant que les questionnements extérieurs sans fin qui demandent à ce que nous prouvions nos identités alors même que l’autre ne justifie pas de la sienne.
Ce n’est pas parce qu’on ne parvient pas à prouver ce que nous sommes que ce n’est pas réel. Ce n’est pas parce que quelque chose n’est pas inscrit dans notre ADN ou dans notre “âme” (pour les croyants) qu’elle n’a pas de dimension bien concrète et de conséquences. Et ce n’est pas le fait d’aimer les balades en forêt, de ne pas se reconnaître dans la société ou d’être impulsif qui définie la thérianthropie; ces traits ne sont que des clichés que l’on rattache au fait d’être animal, et des clichés bien humains.